Écrire, la nuit — Caio Vinícius Russo Nogueira

« Une mouche éphémère naît à neuf heures du matin dans les grands jours d’été, pour mourir à cinq heures du soir ; comment comprendrait-elle le mot nuit ? »

Stendhal

La naissance de la lumière, résistance de la nuit

Avant la lumière, la nuit était là. Mais pas même le dieu judéo-chrétien n’a pu supporter la nuit, l’intensité informe de la nuit, l’impersonnalité de la nuit. Le Fiat Lux est l’échec devant la nuit, l’échec devant l’indiscernable de la nuit, devant l’amnésie sans contradiction ni mémoire de la nuit. La naissance de la lumière est aussi la naissance de la dialectique, la naissance de la nuit. La naissance de la division, des écarts. Le règlement des distributions. L’invention de la nuit en tant qu’opposition à la lumière. Et soudain tout est clair. On peut identifier les choses. Il y a « ça » et « ça ». On peut discerner les choses. Il y a « celui-ci » et « celui-là ». On peut voir. Il y a les formes et les matières. On peut savoir des choses. Il y a des étants classés selon leur genre et leur espèce. On peut mesurer les distances entre les choses. Il y a le proche, le lointain, l’ordinaire et le paysage. On peut partager le monde, mais on peut aussi discriminer le monde, le décrire. Voilà la naissance de l’analyse : la séparation grâce à la lumière. N’est-il pas curieux que la nuit soit définie, même si elle existe avant son invention, avant sa naissance, en tant que négativité de la lumière, en tant que quelque chose qui manque, l’absence de lumière, la contradiction, c’est-à-dire la non-lumière ? Mais la nuit est toujours là. La nuit résiste.

Si la philosophie ne s’envole qu’au crépuscule, à la limite du jour, le vol de l’indécision, la littérature a toujours été du côté de la nuit, sensation de la nuit dans la nuit. La littérature est la nuit. Et la nuit est le désert, l’œuf ; mais on ne peut pas aller trop vite… Pourtant ce n’est pas par hasard que les trahisons se passent dans la nuit. Il y a la peur de la nuit. La peur de la trahison pendant la nuit. La peur aussi du « distinct obscur » de la nuit, l’Idée.1 Mais de quelle manière peut-on discerner dans la nuit ? On est seul dans la nuit, dans le silence de la nuit. On ne peut pas nommer dans le silence de la nuit, mais on peut glorifier dans la nuit.2 On n’est personne dans la nuit. On ne peut pas dire. On ne peut rien voir. On est aveugle. C’est la bonne question, voir ? A-t-on vraiment besoin de « la » lumière pour voir ? A-t-on besoin de voir ? Le problème des habitants des grottes de Platon ce n’est peut-être pas la nuit, ce sont les ombres, c’est-à-dire l’illusion à cause de la lumière. Il n’y a pas d’illusion dans la nuit parce qu’il n’y a pas de séparation entre la vérité et l’erreur. Il y a seulement l’intéressant.3 Il faut donc éteindre les feux, souffler les bougies que l’on croit encore allumées. Et éteindre c’est déjà écrire, c’est déjà la nuit. Ce sont de très bons écrivains mais il leur manque la nuit.4 On n’écrit jamais avec les bougies. Parfois avec une ampoule, mais plus souvent une ampoule cassée.

En-deçà d’Apollon, mais aussi de Dionysos : Nix. Les Occidentaux, même si ce syntagme ne veut presque rien dire, n’aiment pas la nuit, ni les ombres.5 Lumière, lumière partout ! On ne peut pas supporter la nuit. La lumière est la domestication. L’éloge de l’exactitude. La volonté de précision. Explicitation. Pas d’ivresse. Même si l’ivresse, c’est l’absolu.6 Même si l’ivresse c’est déjà la nuit. On a besoin de lumière quand même ! On a beaucoup progressé ! On a conquis l’Amérique ! Voulez-vous un lustre ? N’avez-vous pas besoin d’une marquise – et elle peut ou non sortir à 17h –, d’un roi, d’un pape ? Même les colonisés le croient parfois, et encore. Même les écrivains le croient parfois, et encore. La nuit résiste ?

Contre l’opinion, écrire lucioles

Quel bonheur parler des choses, des gens, des évènements ! Quel bonheur donner notre avis ! On se réveille et il y a le flux, l’inépuisable flux des données, le cours continu des nouvelles, l’impératif de l’information. On peut se communiquer, on peut faire quelque chose de commun, trouver un sol illuminé sans la nuit. On peut disséminer notre parole dans les réseaux sociaux, mais on peut aussi se nourrir des autres paroles, paroles lointaines, de n’importe où, de n’importe qui.

L’information est le jour. Elle commence avec le jour en tant que partie même du jour. Être informé. Savoir ce qui se passe. Être d’accord ou être en dispute (presque la même chose, d’ailleurs). C’est vraiment le jour, participation dans la lumière, dans le socius : partager le monde, prendre notre parti, mais juste la part qui nous revient dans « notre place ». On est tous sous le même soleil, mais dans le partage sous le soleil il y a le lieu, « notre lieu », on peut voir les traces, les cercles, la limite, la contrainte, même si on peut donner notre opinion « librement », de bonne volonté.

L’opinion est le jour. Le royaume de l’opinion est partout. Comme dans l’empire de Charles V, le soleil ne se couche jamais dans le royaume de l’opinion. Mais on a besoin de donner une opinion. La plus haute nécessité, donner son avis, formuler une opinion, se positionner. « Mais comment se fait-il que vous ne connaissiez pas ce sujet ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas d’opinion formée ? » Et, au-delà des spécialistes de l’opinion, c’est bien cela, donner notre opinion, comme un don, mais aussidonner un contour, une forme.

L’opinion est gratuite et sacrée, un droit. La liberté d’« exprimer » son opinion est l’illusion de la lumière. Et qui résiste à donner son avis, à présenter son opinion, à la faire circuler dans le commun ? Mais l’opinion est lisse, sans bruit, elle ne peut pas dire ce que nous ne savons pas encore, mieux, elle ne peut pas nous affecter, créer des affects.7 L’opinion est le cercle infini d’un jour sans nuit, et c’est pour cela que nous sommes insensibles, non-affectables aux opinions.

Lord Chandos8 ne pouvait plus écrire, lui, ne pouvait pas donner son avis, son opinion. L’aristocratisme ? C’est ça ? Pas du tout. On ne peut pas écrire avec les opinions, les opinions sont le pouvoir du toujours dit, les avis sont donnés dès le départ. Lord Chandos savait que l’écriture se passe ailleurs, dans la nuit des détails, dans la fragmentation sans socle des choses elles-mêmes insignifiantes dans l’économie générale des jours. Il ne pouvait plus écrire sur les gens, juger les gens. Les conversations lui semblaient déplorables. Même les plus simples, les plus quotidiennes. Il ne pouvait plus écrire sous les auspices ni de l’opinion ni de la grande harmonie de la religion, il avait besoin de traverser avec ses pensées ces « toiles d’araignée » pour « déboucher sur le vide ».

L’opinion est toujours très large, écrasante. Elle manque les détails parce qu’elle est comme un immense télescope cassé sur lequel s’illumine la fausse clarté des mondes possibles. Tout a été dit ! Tout a été pensé ! Tout a été écrit ! Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Lord Chandos songeait écrire différemment, avec une loupe, avec un « microscope au bout de la peau de son petit doigt ». Il avait besoin de voir et de toucher en même temps. Lord Chandos cherchait les lucioles.

La nuit est démocratique, ou plutôt anarchique, il n’y a pas de lieu dans la nuit, il n’y a pas de partage. Elle est l’illimité, la nuit. De toute façon, on ne peut pas habiter la nuit. La nuit c’est un lieu de passage. La nuit c’est un voyage. Et on a besoin quand même de voler de nuit. Juste voler dans le voyage de la nuit. Mais c’est trop dangereux, la nuit. Même la promesse de la nuit. Parfois il y a des leçons à prendre chez les insectes. Même avec la mort d’une mouche sur un mur.9 Et entre la nuit du vide et la lumière des grandes villes, parmi les lumières de l’opinion qui empêchent le sommeil, le repos, il y a les lucioles.10 On peut écrire avec des lucioles. Le devenir-luciole de l’écrivain.

Les lucioles émettent de la lumière, mais une lumière faible, une lumière qui ne défait pas la nuit comme l’opinion, mais compose avec la nuit, le devenir-nuit de la luciole – il y a des lucioles même dans l’enfer.11 Mais la lumière de la luciole n’est pas vraiment de la lumière. Ce sont des petites lumières, une multiplicité de quasi lumières dispersées dans l’espace sans centre ordonné. Les lumières des lucioles sont des indices de lumières, la résistance de la nuit, l’esthétique de la nuit. Ce sont des petites lumières qui ne dévoilent rien. On peut presque voir avec les lumières des lucioles. Et il y a un abîme entre presque voir et voir, entre voir et voler. Les lucioles volent la nuit. Et les lucioles sont aussi l’éblouissement aveuglant d’écrire au-delà de l’opinion. L’éblouissement de la nuit, de l’Idée, de la sensation. Et on suit aveugle la distinction sans référence de l’Idée obscure qui mène à l’impersonnalité d’écrire, la disparition, la nuit.

Il n’y a personne dans la nuit. Il n’y a pas de visages dans la nuit, ni même de masques, qui sont déjà des visages.12 Il n’y a pas d’opinions. Il n’y a pas de signifiants. Il n’y a pas de sens caché. Il n’y a pas de secret. Il n’y a pas d’au-delà. On peut presque voir quelque chose, quelqu’un, mais juste presque, quand on écrit. C’est l’insinuation imprécise, virtuelle, la nuit. On ne peut jamais « mettre au point » dans la nuit, donner notre avis. Et la luciole n’est pas un point, elle est le point en mouvement, ça veut dire tout autre chose, la danse du point, des points, parce que ce sont des lucioles, au pluriel. On peut presque voir grâce à la danse des lucioles, la danse de la nuit. C’est pour ça qu’on peut écrire avec les lucioles, on écrit lucioles, on écrit des visions sans visible de la nuit. Mais on ne peut jamais écrire avec notre opinion sous un soleil de plomb, ni penser, exister, vivre enfin. On peut tuer quelqu’un à cause du soleil.13

Il est clair qu’on peut représenter la nuit, donner une opinion sur la nuit. On peut écrire sur la nuit d’un point de vue assez stable, précis, ça veut dire le point de vue de la lumière. Mais il s’agit vraiment de la nuit, la représentation de la nuit ? N’est-ce pas cela une photo-graphie de la nuit ? Il faut sans doute regarder la nuit.14 Ne pas photographier la nuit, immobiliser la nuit. Juste la regarder. On écrit avec les lucioles, on écrit lucioles pour rendre sensible la nuit, pour faire venir la nuit, l’esthétique de la nuit, contre les opinions. Esquisser la nuit, écrire. Mais il y a trop de lumière dans une représentation, dans une opinion. La représentation est le lever, le lever du jour. La nuit, elle ne se lève pas, elle tombe. La chute sans représentation de la nuit, l’affect, les lucioles.

L’œuf, la nuit

On ne peut pas fuir pendant la journée. Martin, le personnage de La pomme dans le noir, de Clarice Lispector15, ne fuit qu’avant l’arrivée du matin. Il peut même s’endormir de fatigue pendant la nuit, pendant la fuite. Mais le soleil du jour qui le réveille brise sa volonté de fuir. Mais il fuit quand même, fuit avec le geste de la nuit, le geste qui se prolonge, le geste nocturne qui donne des forces pour fuir même pendant la journée avec le soleil blessant. Martin se croit un criminel.

Toute l’œuvre de Clarice a été composée avec la nuit, dans la nuit en tant qu’esthétique de la nuit. L’œuf et la poule16, c’est un texte exemplaire de la nuit, c’est complètement la nuit, ce texte-là, la nuit tout entière, la fuite de la nuit :

« L’œuf est une chose suspendue. Il ne s’est jamais posé. Quand il se pose, ce n’est pas lui qui s’est posé, c’est une surface qui est venue se fixer sous l’œuf. – Je regarde l’œuf dans la cuisine avec une attention superficielle pour ne pas le casser. Je prends le plus grand soin de ne pas le comprendre. Puisqu’il est impossible de le comprendre, je sais que si je le comprends, c’est une erreur de ma part […] L’œuf vit en fuite car il est toujours trop en avance sur son temps. – L’œuf par conséquent sera toujours révolutionnaire. – Il vit dans la poule pour ne pas être traité de blanc. L’œuf de fait est blanc. Mais il ne peut pas être traité de blanc. Non pas parce que ça lui fait mal, à lui à qui rien ne fait mal, mais les gens qui affirment que l’œuf est blanc, ces gens meurent à la vie. Dire blanc ce qui est blanc peut détruire l’humanité. La vérité détruit toujours l’humanité ».17

A-t-on besoin de commenter cet extrait ? A-t-on besoin de l’interpréter ? A-t-on besoin de traduire l’œuf ? De dire la vérité de l’œuf ? On ne peut pas supporter la nuit. Mais c’est quoi ça ?! On a fait des calculs ! Les révolutions ne sont pas possibles, pire encore les révolutions d’un œuf ! Il n’y a jamais eu de révolutions ! C’est pour ça que les réactionnaires ont horreur de la nuit. Même s’ils font parfois éclore des œufs.

L’œuf est politique. L’œuf est la promesse suspendue, mais même la promesse de la nuit, de la nuit suspendue, c’est très dangereux. Quelques écrivains et artistes prennent le parti de l’œuf. L’œuf est blanc, mais blanc ne veut rien dire. Et ils le savent, les écrivains, les artistes de la nuit. L’œuf est indifférent devant le signifiant blanc. On est toujours autour d’un œuf mais si on ne sait pas qu’on est autour d’un œuf c’est parce que, lui, il n’a pas de centre.

L’œuf est la nuit. L’œuf danse. Mais c’est très obscur, un œuf, une Idée. On a besoin de lucioles. On ne peut pas comprendre, pas vraiment, un œuf, la nuit. Comprendre, c’est déjà l’identifier, le signifier, le casser, ce pour quoi on fabrique des poules, pour cacher l’œuf, la nuit :

« En ce qui concerne le corps de la poule, le corps de la poule est la plus grande tentative de preuve que l’œuf n’existe pas. Car il suffit de regarder la poule pour qu’il semble évident que l’œuf est dans l’impossibilité d’exister. Et la poule ? […] La poule regarde l’horizon. Comme si c’était de la ligne d’horizon que pouvait venir un œuf. Hormis le fait d’être un moyen de transport pour l’œuf, la poule est stupide, désœuvrée et myope. Comment la poule pourrait-elle se comprendre alors qu’elle est la contradiction d’un œuf ? L’œuf est encore le même œuf originaire de la Macédoine. Mais la poule est toujours la tragédie la plus moderne. Elle est toujours inutilement au courant. Et constamment redessinée ».18

La poule est myope parce qu’elle croit voir l’œuf, savoir ce que c’est un œuf. La poule guette l’œuf à l’horizon car elle ne sait pas que l’œuf est l’horizon suspendu, la nuit. La poule aime en secret l’œuf. Mais il n’y a pas de secret, lui, l’œuf, n’est jamais caché. L’œuf est le non-savoir. Et la nuit est blanche, blanche comme un œuf sans le signifiant blanc.

Néanmoins Clarice ne s’intéresse pas à la linguistique, Clarice ne fait pas de la philosophie dans L’œuf et la poule. Ce n’est même pas une réflexion, quelque chose comme un essai. Peut-être qu’on pourrait s’en remettre à la rhétorique spéculative de Quignard.19 Le langage en tant que pensée physique des mots et non une manière de traverser avec les mots, avec l’aide des mots, avec le mépris des mots, les signifiants sur les mots, pour arriver aux objets, aux conclusions ; écrire immédiatement les mots, prendre les mots à la littera, ça veut dire écrire des images, images de la nuit avec les lucioles, esthétique de la nuit, littérature.

Mais c’est trop difficile d’écrire, d’écrire la nuit, d’écrire un œuf avec des lucioles quand on est une poule. La poule n’est pas un animal nocturne. Elle se réveille très tôt. Elle ne vit qu’en mangeant des miettes autour d’elle. Elle ne chasse pas, pas vraiment. Elle ne cherche pas, pas vraiment. La poule est un animal réflexif. Elle trouve. Elle retourne la terre pour trouver des vers et des lombrics sur le sol. Elle dévoile la vie souterraine. Elle est satisfaite, heureuse de son sort. C’est pour cela que la poule ne veut pas s’enfoncer dans la nuit : elle se croit plus originale que l’œuf. Mais elle ne peut pas concevoir l’idée d’un œuf. Elle le crée sans le savoir. La poule, elle, craint la nuit, les sensations de la nuit, l’esthétique de la nuit, la poule craint l’œuf :

« La poule qui ne voulait pas sacrifier sa vie. Celle qui a choisi d’être « heureuse ». Celle qui ne se rendant pas compte que si elle passait sa vie à dessiner l’œuf en elle comme une enluminure, elle servirait. Celle qui ne savait pas se perdre […] Celle qui a pensé que le plaisir était pour elle un don, sans se rendre compte qu’il servait à la distraire totalement, tandis que l’œuf se formerait. Celle qui ne savait pas que « moi » est seulement un des mots que l’on dessine lorsqu’on répond au téléphone, une simple tentative de chercher une forme plus adéquate. Celle qui a pensé que « moi » signifiait avoir un soi-même. Les poules nuisibles pour l’œuf sont celles qui sont un « moi » sans trêve. Chez elles le « moi » est si constant qu’elles ne peuvent plus prononcer le mot « œuf ». Mais, qui sait, c’est justement de cela que l’œuf a besoin. Car si elles n’étaient pas si distraites, si elles prêtaient attention à la grande vie qui se fait en elles, elles perturberaient l’œuf ».20

Écrire après Clarice, c’est très difficile. Même si on ne veut pas expliquer, traduire, casser l’œuf pour le rendre mangeable. L’œuf cassé, c’est une autre chose, un incorporel, l’expression, un pur événement qui change l’œuf, le sens.21 On peut toujours casser l’œuf, mais c’est un procédé très banal. On peut toujours croire que c’est un Moi qui casse l’œuf, mais c’est un procédé très vulgaire. L’œuf ne veut pas attirer l’attention. Mais il a besoin de la distraction d’une poule justement car il est très discret, lui, l’œuf, la nuit. Mais il est très difficile quand même de parler de l’œuf sans le casser car on ne peut même pas voir Clarice. On a commencé où exactement ? Quand ? L’œuf est un désert. Un vide ? L’œuf est une vie. L’œuf est une écriture. On a commencé à quel point de départ ? On a esquissé un faux début avec Dieu et la Genèse. On a commencé au milieu, bien sûr, car il n’y a pas de début de la nuit, ni de prélude pour un œuf. Mais où ? En-deçà de la lumière ? Dans la nuit ?

Note sur l’auteur

Caio Vinícius Russo Nogueira est écrivain et doctorant en Théorie Littéraire et Littérature Comparée par l’Université de São Paulo (USP) et chercheur invité à la Sorbonne Université sous la supervision de M. Bernard Vouilloux avec une bourse d’études de la FAPESP (Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo).

Notes

1 Sur l’Idée en tant que distincte et nécessairement obscure, la limite entre la pensée et l’impensable, voir : Deleuze, Gilles. Différence et répétition. 7º édition. Paris : Presses Universitaires de France (PUF), 1993, p.191.

2 À propos de Rilke, Blanchot dit que : « Parler n’est plus dire, ni nommer. Parler, c’est célébrer, et célébrer, c’est glorifier […], seul langage où la nuit et le silence se manifestent sans se rompre ni se révéler » Blanchot, Maurice. L’espace littéraire. Paris : Gallimard, 1955, pp.165-166.

3 Pour Deleuze et Guattari, l’image de la pensée (orientation dans la pensée) classique est surtout définie en tant que distinction entre la vérité et l’erreur, recherche de la vérité comme volonté et but de toute la pensée. Dans cette distinction, l’erreur a un rôle même plus important que la vérité parce qu’on a besoin de passer par l’erreur pour arriver à la vérité. Nietzsche a changé cette image de la pensée avec sa « critique de la volonté de vérité ». Après Nietzsche, ils sont donc, pour l’image moderne de la pensée, les « catégories comme celles d’Intéressant, de Remarquable ou d’Important qui décident de la réussite ou de l’échec » Deleuze, Gilles ; Guattari, Félix. Qu’est-ce que la philosophie ? Paris : Éditions Minuit, 1991, p.84.

4 « Il y a encore des générations mortes qui font des livres pudibonds. Même des jeunes : des livres charmants, sans prolongement aucun, sans nuit. Sans silence » Duras, Marguerite. Écrire. Paris : Gallimard, 1993, p.34.

5 Tanizaki développe une esthétique des ombres qui oppose l’Orient à l’Occident. Cette esthétique, à son tour, peut être mise en relation avec une éthologie et même une ontologie : la différence entre les toits japonais, qui servent à garder l’ombre, et les toits occidentaux, qui cherchent la lumière ; la différence entre les pierres précieuses, comme le jade, qui garde un vert opaque, par rapport à l’émeraude, qui est brillante ; la laque et la porcelaine ; le Shōji et la porte vitrée, etc. Voir : Tanizaki, Jun’ichiro. Éloge de l’ombre. Traduction : René Sieffert. Paris : Verdier, 2011.

6 « L’ivresse est elle-même l’absolutisation, le désenchaînement, l’ascension libre jusqu’au bout du monde. Elle est la jouissance : l’identité donnée dans l’abandon à la poussée qui délie l’identique, le corps résumé à son spasme, à l’arrachement d’un soupir ou d’un éclat, exclamation entre larme et lave » Nancy, Jean-Luc. Ivresse. Paris : Payot & Rivages, 2013, pp.36-37.

7 Voir : Deleuze, Gilles ; Guattari, Félix. Qu’est-ce que la philosophie ? Paris : Les Éditions de Minuit, 1991, p.171.

8 Hofmannsthal, Hugo von. Lettres de Lord Chandos et autres textes. Traductions de Jean-Claude Schneider et Albert Kohn. Paris : Éditions Gallimard, 1992.

9 Voir : Duras, Marguerite. Écrire. Paris : Éditions Gallimard, 1993, p.42 ss.

10 Voir : Didi-Huberman, Georges. Survivance des lucioles. Paris : Les Éditions de Minuit, 2009, passim.

11 Idem.

12 Voir : Deleuze, Gilles ; Guattari, Félix. « Année Zéro – Visagéité » in: Mille Plateaux, Paris : Les Éditions de Minuit, 1980, p.222.

13 Ce n’est pas le cas de Meursault ? « C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas […] Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front […] Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux ». Camus, Albert. L’étranger. Paris : Éditions Gallimard, 1942, pp.94-95.

14 « Des animaux hébergés dans le Nocturama, il me reste sinon en mémoire les yeux étonnamment grands de certains, et leur regard fixe et pénétrant, propre aussi à ces peintres et philosophes qui tentent par la pure vision et la pure pensée de percer l’obscurité qui nous entoure » Sebald, W. G. Austerlitz. Traduction de Patrick Charbonneau. Paris : Actes du Sud, 2002, p.9. L’une des images accompagnant l’extrait ci-dessus est une photo des yeux de Wittgenstein.

15 Lispector, Clarice. A maçã no escuro. Rio de Janeiro : Rocco, 1961. Pour l’édition française : Lispector, Clarice. Le bâtisseur de ruines. Traduction de Violante Do Canto. Gallimard : 1970.

16 Lispector, Clarice. Legião estrangeira. Rio de Janeiro : Rocco, 1964. Pour l’édition française utilisée dans ce texte, voir : Lispector, Clarice. Nouvelles : édition complète. Traduction de Jacques Thiériot, Teresa Thiériot, Claudia Poncioni, Didier Lamaison, Sylvie Durastanti, Claude Farny, Geneviève Leibrich et Nicole Biros. Introduction et note bibliographique de Benjamin Moser, Paris : Éditions des femmes-Antoinette Fouque, 2017, pp.207-208.

17 Ibidem, pp.207-208.

18 Ibidem, p. 208.

19 Quignard, Pascal. Rhétorique spéculative. Paris : Calmann-Lévy, 1995.

20 Ibidem, p. 209.

21 Sur le « sens » en tant qu’événement, « l’exprimé de la proposition », voir : Deleuze, Gilles. Logique du sens. Paris : Les Éditions de Minuit, 1969, pp.41-49.


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