Respiro. Exploration sonore — Matteo Pittoni

Matteo Pittoni explore le son comme un plasticien en quête du point de transcendance dans sa matière. Pour répondre au Souffle, l’artiste musicien compose, en cinq pistes, une immersion intense et hypnotique, nous invitant à vivre, par le corps, le souffle. Matteo, pour ce travail aussi investi qu’abouti, incorpore le souffle dans le son, le son dans le souffle. Cet entrelacs dilate l’écoute. Vient à soi l’Ailleurs. Terre familière d’inconnu. Point de dérive, où mental et corps, à présent au diapason, se laissent transporter par l’expérience intérieure.

Les enregistrements déposés ici sont les traces d’une exploration intime et sonore de Matteo Pittoni, qui a placé au cœur de sa pensée et de son corps :
le Souffle.

Respiro. Exploration sonore

Respiro

La preghiera del gigante

La parola è la conseguenza del respiro

Ambient cassé

Réflexion

Dans l’exploration de l’inconscient nous tombons sur des choses étranges dont le rationaliste se détourne avec horreur, prétendant après coup qu’il n’avait rien vu du tout. La plénitude irrationnelle de la vie m’a appris à ne jamais rien rejeter, même si cela va contre nos théories.

Carl Gustav Jung

Souffle, méditation et pratique musicale 

1. Montpellier, juin 2025

Nécessité légère, automatisme conscient, le souffle représente le plus fort lien, et point commun, entre conscient et inconscient. C’est sans doute pour cette raison qu’il est souvent utilisé comme support pour des pratiques de méditation (Vipassana etc.), pratiques qui visent à atteindre la totalité, à purifier l’esprit, à établir un pont entre matériel et spirituel.

La pratique artistique, au sens large, peut se nourrir de ce lien, étant donné autant la nécessité d’explorer et exprimer l’inconscient, que la volonté consciente d’accomplir, de réaliser.

Je me rends compte seulement maintenant à quel point c’est difficile de parler du souffle. D’un côté, son omniprésence au quotidien le rend invisible ; et de l’autre, inversement, respirer avec conscience est une activité tellement impalpable, intime, complexe, que les mots manquent.

Pendant que j’écris ces lignes, je respire par le nez. Petit à petit, mon souffle se calme.

Je vais improviser une musique au synthétiseur. Je vais essayer de modeler le son par le souffle, lentement, doucement, tranquillement. Je pourrai éventuellement chanter aussi. C’est la première fois que j’essaie cette démarche.

2. Montpellier, juillet 2025

J’ai donc enregistré de longues improvisations de synthé et voix.

Je veux proposer ici cinq extraits de ces improvisations, inspirées par le thème du Souffle. L’ensemble des cinq morceaux correspondent plus ou moins à la durée d’un CD. (On pourrait imaginer un CD joint à la copie papier de la revue, à l’ancienne).

Ce que je veux faire ressentir, c’est une durée presque sans limites, un abandon démesuré à l’instant présent – ce que j’ai vécu pendant l’expérience.

Qu’est-ce qui s’est passé à l’intérieur de moi pendant ces instants-là où j’improvise ? Je n’en ai pas la moindre idée. J’étais vraiment en transe, et j’ai raconté au microphone (et en italien, car c’est venu comme ça, spontanément) les images qui venaient à l’esprit.

Voici la transcription des paroles :

Respiro

Voglio respirare ancora e ancora

Voglio vivere e respirare ancora

Cristo, ti prego, ascolta le nostre preghiere

Preso tornato buttato bloccato incantato fatto deluso

Ti hanno fatto deluso previsto interessato contato guardato preso

Ti hanno classificato risposto ti hanno distrutto ti hanno fatto male

Ti hanno preso ti hanno manipolato ti hanno guardato ti hanno scopato ti hanno accarezzato ti hanno dato pugni

Ti han dato soldi ti han dato ginocchiate ti han dato dolore dolore dolore

Ti sei dato dolore dolore dolore dolore dolore dolore

Ti sei dato colore colore

Guardare guardare guardare guardare guardare guardare guardare guardare

Tutto quanto deve sparir

Non sei convinto ?

Nello sguardo ?

Dentro il bosco ?

Insufficiente

Hai guardato dentro? Guarda dentro! Guarda, guarda.

Cosa c’è dentro? Non c’è NIENTE dentro.

Mi dispiace, ma non c’è niente. Cosa credevi che ci fosse dentro ?

Dentro di te c’è un’anima

C’è un respiro c’è una voce c’è un suono

Il tuo suono sei tu

La tua voce è la tua anima

L’anima è il Verbo che ti abita ancora e ancora

Oh com’è bello sentire il Verbo sgretolarsi

Oh com’è bello sentire il Verbo insultare

Oh com’è bello sentire il Verbo dire sconcerie

Oh com’è bello sentire il Verbo insultare

Ah com’è bello guardare

Ah com’è bello respirare

Ah com’è bello respirare per poter cantare per poter insultare per poter schiaffeggiare con le parole ancora e ancora e ancora

Per poter battere sul tamburo della lingua

Per potere ancora… per potere ancora dire – dire – duramente le cose

Dire dire dire dire dire dire

Dire ancora e ancora quello che c’è dentro

Dire ancora e ancora quello che c’è nel cuore

Dentro il cuore cosa c’è, c’è un fuoco

C’è il vento e un fuoco allo stesso tempo

C’è un vento che spegne e il fuoco che accende

Il vento che spegne che spegne che spegne

La passione riaccende

La paura che spegne

Prendi il fuoco

Souffle

Je veux respirer encore et encore

Je veux vivre et respirer à nouveau

Christ, s’il te plaît, entends nos prières

Pris, rendu, jeté, coincé, enchanté, créé, déçu

Ils t’ont fait, déçu, attendu, intéressé, contacté, regardé, pris

Ils t’ont classé, ils t’ont répondu, ils t’ont détruit, ils t’ont blessé

Ils t’ont pris, ils t’ont manipulé, ils t’ont regardé, ils t’ont baisé, ils t’ont caressé, ils t’ont cogné

Ils t’ont donné de l’argent, donné des coups de genou, fait souffrir, souffrir, souffrir

Tu t’es donné de la douleur douleur douleur douleur douleur douleur

Tu t’es donné de la couleur couleur

Regarder, regarder, regarder, regarder, regarder, regarder, regarder, regarder

Tout doit disparaitre

N’es-tu pas convaincu ?

Dans le regard ?

Dans les bois ?

Insuffisant

As-tu regardé à l’intérieur ? Regarde !

Qu’y a-t-il à l’intérieur ? Il n’y a RIEN à l’intérieur.

Je suis désolé, mais il n’y a rien. Que croyais-tu qu’il y avait à l’intérieur ?

En toi, il y a une âme

Il y a un souffle, il y a une voix, il y a un son

Ton son, c’est toi

Ta voix, c’est ton âme

L’âme, c’est le Verbe qui vit en toi, encore et encore

Oh, qu’il est beau d’entendre le Verbe s’effriter

Oh, qu’il est beau d’entendre le Verbe insulter

Oh, qu’il est beau d’entendre le Verbe dire des obscénités

Oh, qu’il est beau d’entendre le Verbe insulter

Ah, qu’il est beau de regarder

Ah, qu’il est beau de respirer

Ah, qu’il est beau de respirer pour pouvoir chanter, insulter, gifler avec des mots encore et encore et encore

De pouvoir battre le tambour de la langue

De pouvoir encore… de pouvoir encore dire – dire – les choses durement

De dire, dire, dire, dire, dire

De dire encore et encore ce qu’il y a à l’intérieur

De dire encore et encore ce qu’il y a dans le cœur

Dans le cœur, qu’est-ce qu’il y a ? Il y a un feu

Il y a du vent et le feu en même temps

Il y a du vent qui éteint et le feu qui allume

Le vent qui éteint, éteint, éteint

La passion qui rallume

La peur qui éteint

Prends le feu

La preghiera del gigante

Chi cazzo sei ? Cosa cazzo vuoi? Dove cazzo vai ?

Lucchetto D’Onore non è andata nella Fronda

La Fronda è andata a destra, i cavalli d’hanno seguita, le bandiere anche

Lei si è voltata dall’altra parte, ha visto la carica e è andata, bandiera al vento, il cielo era blu

L’assalto alla cavalleria è veloce, come se fossero corse di cavalli. La bandiera azzurra e bianca sopra la loro testa

E Dio barbuto col cappello guardava

Guardava – cappello giallo

Non era ancora accaduto che i meccanismi si mescolassero con le selle dei cavalli, trasportando tutti nel baratro, non era mai successo

Qualcuno rimase attaccato alle selle attorno al baratro

C’era un grande silenzio

Deserto a vista d’occhio tutto intorno, delle piante nere – e poi scese la notte e il fuoco negli accampamenti brillava – quando apparve il gigante

Apparve – nessuno poté fare nulla contro il gigante. Arrivò e si prese tutto, distrusse tutto, si accaparrò gli accampamenti, schiacciò i cavalli come mosche, si distese sulle mura della città

Si mise a ridere e disse, tutto questo è mio

Nessuno rise davanti al gigante

Il gigante era lì, si mise immobile,

Si sedette, guardò l’orizzonte

Chiuse gli occhi, si mise comodo, si mise dritto,

Si mise a pregare

La preghiera del gigante

Non assomigliava a nulla

Nessuno sapeva

[…] Ho guardato dentro l’orizzonte

Ho guardato, e non son stato soddisfatto

Ho cercato tutto quello che potevo

Ho cercato ancora qualcuno

Cercato cercato cercato

Non l’ho mai mai mai trovato

E volevo volevo guardare

Non c’è mai stato nessuno

Sono stato nella polvere

Ho guardato senza guardare

Ho guardato dentro la superficie delle cose

Ho guardato dentro”

La prière du géant

Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu veux ? Où vas-tu, bordel ?

Lucchetto D’Onore n’est pas allée à la Fronde.

La Fronde est allée à droite, les chevaux l’ont suivie, les drapeaux aussi.

Elle s’est retournée de l’autre côté, a vu la charge et est partie, drapeau au vent, le ciel était bleu.

L’assaut de la cavalerie est rapide, comme s’il s’agissait d’une course de chevaux. Le drapeau bleu et blanc au-dessus de leurs têtes

Et Dieu barbu avec son chapeau regardait

Il regardait – chapeau jaune

Il n’était pas encore arrivé que les mécanismes se mélangent avec les selles des chevaux, transportant tout le monde dans l’abîme, cela n’était jamais arrivé

Quelqu’un est resté accroché aux selles des chevaux, autour de l’abîme

Il y avait un grand silence

Un désert à perte de vue tout autour, des plantes noires – puis la nuit tomba et le feu dans les campements brillait – quand le géant apparut

Il apparut – personne ne pouvait rien faire contre le géant. Il arriva et prit tout, tout détruit, s’empara des campements, écrasa les chevaux comme des mouches, s’allongeât sur les murs de la ville.

Il se mit à rire et dit : « Tout cela est à moi ».

Personne ne rit devant le géant

Le géant était là, immobile,

Il s’assit, regarda l’horizon

Ferma les yeux, s’installa confortablement, se redressa,

Se mit à prier

La prière du géant

Ne ressemblait à rien

Personne ne savait

« […] J’ai regardé à l’intérieur de l’horizon

J’ai regardé et je n’ai pas été satisfait

J’ai cherché tout ce que je pouvais

J’ai encore cherché quelqu’un

Cherché, cherché, cherché

Je ne l’ai jamais, jamais, jamais trouvé

Et je voulais, je voulais regarder

Il n’y a jamais eu personne

J’ai été dans la poussière

J’ai regardé sans regarder

J’ai regardé dans dans la surface des choses

J’ai regardé à l’intérieur »

La parola è la conseguenza del respiro

La parola è la conseguenza del respiro: quando si parla, è perché si ha respirato

Ma parola è quello che ci rende viventi

La parola è quello che ci rende umani

La parola è quello che giustifica la rivista

La parola è quello che giustifica la nostra anima e il nostro corpo

Il nostro corpo tiene con la parola

La parola fa parte del nostro corpo

La parola è disponibile nel nostro corpo

Noi possiamo esistere in maniera disincarnata attraverso la parola

Il respiro sostiene questa nostra anima

La parole est la conséquence du souffle

La parole est la conséquence du souffle : quand on parle, c’est parce qu’on a respiré

Mais la parole est ce qui nous rend vivants

La parole est ce qui nous rend humains

La parole est ce qui justifie la revue

La parole est ce qui justifie notre âme et notre corps

Notre corps tient grâce à la parole

La parole fait partie de notre corps

La parole est disponible dans notre corps

Nous pouvons exister de manière désincarnée à travers la parole

Le souffle soutient ce qui est notre âme

Notes sur l’auteur

Musicien autodidacte, guitariste, songwriter, chanteur et ingénieur du son, j’ai participé à différents projets de musique rock, musique expérimentale et musique traditionnelle. J’ai composé de la musique de scène pour plusieurs spectacles et lectures scéniques. De 2013 à 2016, à Paris, j’ai été guitariste et chanteur dans l’ensemble Le Fil du Rêveur. En 2020, je conçois une forme d’improvisation à la guitare électrique, sans titre, sans début ni fin, proche de la méditation. J’ai aussi réalisé de la musique pour plusieurs courts-métrages (win-win, 2021 ; La garde, 2024).


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