Matteo Pittoni explore le son comme un plasticien en quête du point de transcendance dans sa matière. Pour répondre au Souffle, l’artiste musicien compose, en cinq pistes, une immersion intense et hypnotique, nous invitant à vivre, par le corps, le souffle. Matteo, pour ce travail aussi investi qu’abouti, incorpore le souffle dans le son, le son dans le souffle. Cet entrelacs dilate l’écoute. Vient à soi l’Ailleurs. Terre familière d’inconnu. Point de dérive, où mental et corps, à présent au diapason, se laissent transporter par l’expérience intérieure.
Les enregistrements déposés ici sont les traces d’une exploration intime et sonore de Matteo Pittoni, qui a placé au cœur de sa pensée et de son corps :
le Souffle.
Dans l’exploration de l’inconscient nous tombons sur des choses étranges dont le rationaliste se détourne avec horreur, prétendant après coup qu’il n’avait rien vu du tout. La plénitude irrationnelle de la vie m’a appris à ne jamais rien rejeter, même si cela va contre nos théories.
Carl Gustav Jung
Nécessité légère, automatisme conscient, le souffle représente le plus fort lien, et point commun, entre conscient et inconscient. C’est sans doute pour cette raison qu’il est souvent utilisé comme support pour des pratiques de méditation (Vipassana etc.), pratiques qui visent à atteindre la totalité, à purifier l’esprit, à établir un pont entre matériel et spirituel.
La pratique artistique, au sens large, peut se nourrir de ce lien, étant donné autant la nécessité d’explorer et exprimer l’inconscient, que la volonté consciente d’accomplir, de réaliser.
Je me rends compte seulement maintenant à quel point c’est difficile de parler du souffle. D’un côté, son omniprésence au quotidien le rend invisible ; et de l’autre, inversement, respirer avec conscience est une activité tellement impalpable, intime, complexe, que les mots manquent.
Pendant que j’écris ces lignes, je respire par le nez. Petit à petit, mon souffle se calme.
Je vais improviser une musique au synthétiseur. Je vais essayer de modeler le son par le souffle, lentement, doucement, tranquillement. Je pourrai éventuellement chanter aussi. C’est la première fois que j’essaie cette démarche.
J’ai donc enregistré de longues improvisations de synthé et voix.
Je veux proposer ici cinq extraits de ces improvisations, inspirées par le thème du Souffle. L’ensemble des cinq morceaux correspondent plus ou moins à la durée d’un CD. (On pourrait imaginer un CD joint à la copie papier de la revue, à l’ancienne).
Ce que je veux faire ressentir, c’est une durée presque sans limites, un abandon démesuré à l’instant présent – ce que j’ai vécu pendant l’expérience.
Qu’est-ce qui s’est passé à l’intérieur de moi pendant ces instants-là où j’improvise ? Je n’en ai pas la moindre idée. J’étais vraiment en transe, et j’ai raconté au microphone (et en italien, car c’est venu comme ça, spontanément) les images qui venaient à l’esprit.
Voici la transcription des paroles :
Voglio respirare ancora e ancora
Voglio vivere e respirare ancora
Cristo, ti prego, ascolta le nostre preghiere
Preso tornato buttato bloccato incantato fatto deluso
Ti hanno fatto deluso previsto interessato contato guardato preso
Ti hanno classificato risposto ti hanno distrutto ti hanno fatto male
Ti hanno preso ti hanno manipolato ti hanno guardato ti hanno scopato ti hanno accarezzato ti hanno dato pugni
Ti han dato soldi ti han dato ginocchiate ti han dato dolore dolore dolore
Ti sei dato dolore dolore dolore dolore dolore dolore
Ti sei dato colore colore
Guardare guardare guardare guardare guardare guardare guardare guardare
Tutto quanto deve sparir
Non sei convinto ?
Nello sguardo ?
Dentro il bosco ?
Insufficiente
Hai guardato dentro? Guarda dentro! Guarda, guarda.
Cosa c’è dentro? Non c’è NIENTE dentro.
Mi dispiace, ma non c’è niente. Cosa credevi che ci fosse dentro ?
Dentro di te c’è un’anima
C’è un respiro c’è una voce c’è un suono
Il tuo suono sei tu
La tua voce è la tua anima
L’anima è il Verbo che ti abita ancora e ancora
Oh com’è bello sentire il Verbo sgretolarsi
Oh com’è bello sentire il Verbo insultare
Oh com’è bello sentire il Verbo dire sconcerie
Oh com’è bello sentire il Verbo insultare
Ah com’è bello guardare
Ah com’è bello respirare
Ah com’è bello respirare per poter cantare per poter insultare per poter schiaffeggiare con le parole ancora e ancora e ancora
Per poter battere sul tamburo della lingua
Per potere ancora… per potere ancora dire – dire – duramente le cose
Dire dire dire dire dire dire
Dire ancora e ancora quello che c’è dentro
Dire ancora e ancora quello che c’è nel cuore
Dentro il cuore cosa c’è, c’è un fuoco
C’è il vento e un fuoco allo stesso tempo
C’è un vento che spegne e il fuoco che accende
Il vento che spegne che spegne che spegne
La passione riaccende
La paura che spegne
Prendi il fuoco
Je veux respirer encore et encore
Je veux vivre et respirer à nouveau
Christ, s’il te plaît, entends nos prières
Pris, rendu, jeté, coincé, enchanté, créé, déçu
Ils t’ont fait, déçu, attendu, intéressé, contacté, regardé, pris
Ils t’ont classé, ils t’ont répondu, ils t’ont détruit, ils t’ont blessé
Ils t’ont pris, ils t’ont manipulé, ils t’ont regardé, ils t’ont baisé, ils t’ont caressé, ils t’ont cogné
Ils t’ont donné de l’argent, donné des coups de genou, fait souffrir, souffrir, souffrir
Tu t’es donné de la douleur douleur douleur douleur douleur douleur
Tu t’es donné de la couleur couleur
Regarder, regarder, regarder, regarder, regarder, regarder, regarder, regarder
Tout doit disparaitre
N’es-tu pas convaincu ?
Dans le regard ?
Dans les bois ?
Insuffisant
As-tu regardé à l’intérieur ? Regarde !
Qu’y a-t-il à l’intérieur ? Il n’y a RIEN à l’intérieur.
Je suis désolé, mais il n’y a rien. Que croyais-tu qu’il y avait à l’intérieur ?
En toi, il y a une âme
Il y a un souffle, il y a une voix, il y a un son
Ton son, c’est toi
Ta voix, c’est ton âme
L’âme, c’est le Verbe qui vit en toi, encore et encore
Oh, qu’il est beau d’entendre le Verbe s’effriter
Oh, qu’il est beau d’entendre le Verbe insulter
Oh, qu’il est beau d’entendre le Verbe dire des obscénités
Oh, qu’il est beau d’entendre le Verbe insulter
Ah, qu’il est beau de regarder
Ah, qu’il est beau de respirer
Ah, qu’il est beau de respirer pour pouvoir chanter, insulter, gifler avec des mots encore et encore et encore
De pouvoir battre le tambour de la langue
De pouvoir encore… de pouvoir encore dire – dire – les choses durement
De dire, dire, dire, dire, dire
De dire encore et encore ce qu’il y a à l’intérieur
De dire encore et encore ce qu’il y a dans le cœur
Dans le cœur, qu’est-ce qu’il y a ? Il y a un feu
Il y a du vent et le feu en même temps
Il y a du vent qui éteint et le feu qui allume
Le vent qui éteint, éteint, éteint
La passion qui rallume
La peur qui éteint
Prends le feu
Chi cazzo sei ? Cosa cazzo vuoi? Dove cazzo vai ?
Lucchetto D’Onore non è andata nella Fronda
La Fronda è andata a destra, i cavalli d’hanno seguita, le bandiere anche
Lei si è voltata dall’altra parte, ha visto la carica e è andata, bandiera al vento, il cielo era blu
L’assalto alla cavalleria è veloce, come se fossero corse di cavalli. La bandiera azzurra e bianca sopra la loro testa
E Dio barbuto col cappello guardava
Guardava – cappello giallo
Non era ancora accaduto che i meccanismi si mescolassero con le selle dei cavalli, trasportando tutti nel baratro, non era mai successo
Qualcuno rimase attaccato alle selle attorno al baratro
C’era un grande silenzio
Deserto a vista d’occhio tutto intorno, delle piante nere – e poi scese la notte e il fuoco negli accampamenti brillava – quando apparve il gigante
Apparve – nessuno poté fare nulla contro il gigante. Arrivò e si prese tutto, distrusse tutto, si accaparrò gli accampamenti, schiacciò i cavalli come mosche, si distese sulle mura della città
Si mise a ridere e disse, tutto questo è mio
Nessuno rise davanti al gigante
Il gigante era lì, si mise immobile,
Si sedette, guardò l’orizzonte
Chiuse gli occhi, si mise comodo, si mise dritto,
Si mise a pregare
La preghiera del gigante
Non assomigliava a nulla
Nessuno sapeva
“[…] Ho guardato dentro l’orizzonte
Ho guardato, e non son stato soddisfatto
Ho cercato tutto quello che potevo
Ho cercato ancora qualcuno
Cercato cercato cercato
Non l’ho mai mai mai trovato
E volevo volevo guardare
Non c’è mai stato nessuno
Sono stato nella polvere
Ho guardato senza guardare
Ho guardato dentro la superficie delle cose
Ho guardato dentro”
Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu veux ? Où vas-tu, bordel ?
Lucchetto D’Onore n’est pas allée à la Fronde.
La Fronde est allée à droite, les chevaux l’ont suivie, les drapeaux aussi.
Elle s’est retournée de l’autre côté, a vu la charge et est partie, drapeau au vent, le ciel était bleu.
L’assaut de la cavalerie est rapide, comme s’il s’agissait d’une course de chevaux. Le drapeau bleu et blanc au-dessus de leurs têtes
Et Dieu barbu avec son chapeau regardait
Il regardait – chapeau jaune
Il n’était pas encore arrivé que les mécanismes se mélangent avec les selles des chevaux, transportant tout le monde dans l’abîme, cela n’était jamais arrivé
Quelqu’un est resté accroché aux selles des chevaux, autour de l’abîme
Il y avait un grand silence
Un désert à perte de vue tout autour, des plantes noires – puis la nuit tomba et le feu dans les campements brillait – quand le géant apparut
Il apparut – personne ne pouvait rien faire contre le géant. Il arriva et prit tout, tout détruit, s’empara des campements, écrasa les chevaux comme des mouches, s’allongeât sur les murs de la ville.
Il se mit à rire et dit : « Tout cela est à moi ».
Personne ne rit devant le géant
Le géant était là, immobile,
Il s’assit, regarda l’horizon
Ferma les yeux, s’installa confortablement, se redressa,
Se mit à prier
La prière du géant
Ne ressemblait à rien
Personne ne savait
« […] J’ai regardé à l’intérieur de l’horizon
J’ai regardé et je n’ai pas été satisfait
J’ai cherché tout ce que je pouvais
J’ai encore cherché quelqu’un
Cherché, cherché, cherché
Je ne l’ai jamais, jamais, jamais trouvé
Et je voulais, je voulais regarder
Il n’y a jamais eu personne
J’ai été dans la poussière
J’ai regardé sans regarder
J’ai regardé dans dans la surface des choses
J’ai regardé à l’intérieur »
La parola è la conseguenza del respiro: quando si parla, è perché si ha respirato
Ma parola è quello che ci rende viventi
La parola è quello che ci rende umani
La parola è quello che giustifica la rivista
La parola è quello che giustifica la nostra anima e il nostro corpo
Il nostro corpo tiene con la parola
La parola fa parte del nostro corpo
La parola è disponibile nel nostro corpo
Noi possiamo esistere in maniera disincarnata attraverso la parola
Il respiro sostiene questa nostra anima
La parole est la conséquence du souffle : quand on parle, c’est parce qu’on a respiré
Mais la parole est ce qui nous rend vivants
La parole est ce qui nous rend humains
La parole est ce qui justifie la revue
La parole est ce qui justifie notre âme et notre corps
Notre corps tient grâce à la parole
La parole fait partie de notre corps
La parole est disponible dans notre corps
Nous pouvons exister de manière désincarnée à travers la parole
Le souffle soutient ce qui est notre âme
Musicien autodidacte, guitariste, songwriter, chanteur et ingénieur du son, j’ai participé à différents projets de musique rock, musique expérimentale et musique traditionnelle. J’ai composé de la musique de scène pour plusieurs spectacles et lectures scéniques. De 2013 à 2016, à Paris, j’ai été guitariste et chanteur dans l’ensemble Le Fil du Rêveur. En 2020, je conçois une forme d’improvisation à la guitare électrique, sans titre, sans début ni fin, proche de la méditation. J’ai aussi réalisé de la musique pour plusieurs courts-métrages (win-win, 2021 ; La garde, 2024).