J’ai troué l’abat-jour bleu des limitations colorées, je suis sorti dans le blanc, voguez à ma suite, camarades aviateurs, dans l’abîme (…)
Kasimir Malévitch
Le travail de Maëva Gardenat semble répondre à l’invitation que le peintre à ouvert par son Carré blanc sur fond blanc.
Rompre avec la couleur pour voguer dans l’infini du blanc, à l’opposé de l’outre-noir de Soulages.
Y trouver la page blanche et s’y inscrire en cousant de fil blanc sur blanc. Ne rien dire mais souffler des signes sans signifiant ni signification, insuffler au papier des trouées sensibles, traces mécaniques si délicatement humaines. Faire du papier un territoire poétique à cartographier par des caractères en relief et retrait. Les rainures blanches dans le feuillet par transparence deviennent fils à suivre pour mieux se perdre dans les abîmes du toucher cotonneux. À la vue, la lumière nous offre délicatement le relief d’un paysage et d’une langue qui se déploie dans cet espace original et primitif où tout reste à écrire et à tenter.

La ligne, le point, la trouée, puis la lumière. Sur le fil. Fragile papier
J’esquive l’écriture et invente une manière de tracer sur la page les impressions muettes et expressives. Un langage troué, percé, filé et fragile.
Mon outil pour réaliser ces écritures blanches est une ancienne machine à coudre Singer, mécanique.
Il est nécessaire d’induire un mouvement de balancier pour amorcer la machine. Ces transcriptions silencieuses ont incorporé un lien d’intimité entre la machine, mon corps, mon imaginaire.
S’élance la roue depuis la main. L’impulsion est récupérée dans l’assise du bassin, descend dans les jambes, s’alourdit dans les pieds qui, eux, rattrapent l’élan insufflé pour appuyer sur la pédale. Ils vont donner la cadence. Mains et yeux suivront la ligne et permettront l’élégance du trait, son récit, son énigme. Le corps tout entier est en symbiose avec la courroie qui entraîne la machine. A la place d’une corde de cuir j’ai dans le corps, le souffle.
Pour maîtriser la vieille Singer, je dus me cramponner au fredonnement d’un air. Pour garder le balancier, récupérer l’élan qui était en train de m’échapper. Sans cet air chantonné, le rythme et le fil se cassaient, la machine, net, s’arrêtait. Le murmure faisait tenir sur le fil, le souffle. La cadence, une fois close dans la boucle mécanique, est libre d’écrire d’un trait. Bien plus à l’aise désormais, je demeure proche de mon souffle pour que subsiste dans le geste, la dimension esthétique.
Au lieu de mots, je transcende ce que j’aimerais pouvoir dire en points noués et trous. Fil blanc sur papier blanc, par accident, j’ai déposé la page devant la lumière. L’esquive devenue esquisse du langage, est apparue sous un autre air, qui m’a plus. Je propose donc à voir une double dimension de cette écriture trouée : l’une éclairée, l’autre non – l’une dans le jour, l’autre depuis sa nuit.
De l’ écriture mécanique perlera le désir de faire naître un autre rythme, un autre souffle : celui de la main et de la lenteur qu’elle honore. Trous, plus texturés encore, points-arrières et points de chaînette comme alphabet.
Douze photographies qui donnent à voir un langage blanc, sous son jour et dans sa nuit. Mécanique ou brodée, l’ écriture se déplie sous trois facettes, s’articule comme on ouvre et ferme un livre :
sa face, son dedans et son dos
Sous son jour
Dans sa nuit






Sous son jour
Dans sa nuit






Artiste plasticienne et psychothérapeute, Maëva Gardenat explore les différentes couches du langage en inventant des formes d’écriture sensibles. Elle fait partie du comité de lecture d’ Esquisses – en mouvement. Elle a notamment publié une œuvre picturale et un récit au sein de la revue.