Des choses que je fais — Pauline Desiderio

Des choses que je fais

Présences,

En création

Recouvrer


Tout (re)commence là. Après l’université, les concours, les réponses à des sujets imposés, recouvrer le goût de faire pour soi. De faire par soi. Retrouver l’envie de créer et d’écrire, dans un même mouvement, retrouver cette énergie, pulsion de vie vers l’inconnu. Se retrouver.

Une proposition

Investir, exposer dans une abbaye, lieu de promenade de l’enfance, espace rêvé et rêveur. Accepter sans y penser, sans voir dans quoi mettre les pieds. Accepter sans risque, au pire, exposer des vieilleries, souvenirs d’adolescence, souvenirs de liberté.

Époque où cette liberté ne me faisait pas encore peur.

Puis à deux semaines de la dite exposition, une nouvelle contrainte ajoutée : une chapelle, pas de nu.

Contrainte stérile, stérilisante, regard autour de soi, uniquement la présence de nus sur les murs de ma jeunesse.

Lassitude.

Sans nu, je n’accepte pas. Pas de mise à nu, pas d’exposition.

Refuser frontalement pour ne pas recouvrir, recouvrer.

Réponse facile.

Trop facile.

Puis se résoudre, dans l’urgence, à tenter. Tenter pour arrêter de fuir la facilité. Croire que l’alchimie est encore possible, retrouver les gestes, les couleurs, les images, les harmonies, les présences d’antan, pour en créer d’autres. Utopie.

Découvrir

Partir de l’existant, refuser l’angoisse du vide pour ne pas y sombrer.

Affiches urbaines, cadavres d’événements frivoles aux communications colorées et aguicheuses. Choisir une affiche, la regarder, la décortiquer, imaginer ce qu’il y a dessous. Oignons à peler, couches successives de possibilités. Présence virtuelle de l’infini des potentiels qu’offre à chaque fois tout choix.

Mais le choix existe-t-il ?

Pensée.

Utiliser l’affiche comme un réservoir de formes, de couleurs et de valeurs. Puiser dedans. Ne pas inventer, juste chercher. Revenir à soi par l’autre, le hasard d’une rencontre, la beauté plastique d’une déchirure. Retrouver la matière et la matérialité, arrêter de penser, agir… Ce support est plus qu’un déjà là. En sculpture, en film, ma matière première a toujours été cette ressource à la fois fragile, fine mais inépuisable.

Le parier.

Comment le retrouver au sein de son désir bidimensionnel sans se laisser emporter par la feuille blanche à remplir ?

L’agglomération, la superposition d’affiches comme réinvention du support papier.

Chercher l’image virtuelle qui s’y cache, comme Michel-Ange tentait d’extraire le potentiel du marbre. La forme déjà là, qu’il suffit de tailler, arracher, déchirer pour qu’elle surgisse au regard.

Combat entre la forme et l’informe, suggérer ou afficher ? Affirmer ou hésiter ?

Arracher des morceaux de papiers, découvrir une nouvelle couleur, déchirer un morceau pour trouver une valeur plus claire, croire au potentiel du support. Commencer un arrachement, ne pas trouver ce que l’on cherche, recommencer sur un autre, revenir au premier.

Travailler deux, trois supports à la fois, nous verrons bien si l’un deux se joue de moi.


Le deuxième « tableau » vient, une présence s’extrait, facilement, elle veut surgir à la surface, refuse de rester enfermer.


Effeuiller, délicatement ou brutalement, irrémédiablement. Dessiner par retrait, en négatif…

Tout autour, des morceaux de papier s’accumulent comme des cadavres, des objets a dont l’affiche doit s’endeuiller. Comme ses morceaux d’ongle, de peau, ces croûtes que je me suis toujours arrachée. Les garder là, tout près.

Pourquoi ce besoin de se séparer de morceaux de soi ?

Geste trop inconscient pour qu’il ne veuille dire trop. Livrer à son travail plastique des morceaux d’intimité. Espérer que le secret sera bien gardé.

Tâches

Recouvrer, petit à petit, des gestes, ne pas seulement enlever mais ajouter. Portraits. Retrouver les nez, les yeux, les fossettes tant dessinés. Jouer, peindre comme je dessine, ombres, lumières, volume, peindre comme un photographe. L’image photosensible s’imprime en brûlant en tâches de lumières. Oublier les pinceaux, s’inventer de nouveaux outils, moins sages, plus sauvages. Des outils qui coulent, qui tachent, qui laissent des marques sans même toucher le support.

Réapprendre à aimer les marques indélébiles que les couleurs de nos créations laissent au quotidien.

Redécouvrir les plaisirs simples des mélanges de peintures, des tâches, des couleurs/coulures. Au sol, trouver des gestes qui permettent au graphisme du dreaping de devenir figuratif.

Se retrouver soi, dans un écart, se revoir, s’imiter, se déployer, accepter d’avoir rouillé, d’avoir laissé tous ces gestes de côtés pour mieux les amplifier.

Déchirures.

Déchirures de soi pour mieux s’ébranler.

Difficultés.

Ne pas trouver la couleur attendue, déchirer le support, jusqu’à la dernière couche laissant apparaître le parquet. Recommencer, arracher un œil, le refaire dix centimètres plus haut, passer à un autre tableau, revoir ce dessin tant détester, le fuir, le mutiler, déchirer encore.

Mais, cette lettre dessine le nez !

La conserver. S’épuiser et épuiser le support jusqu’à ce qu’elle soit là.

La présence.

Les formes prennent corps, la présence de cet autre moi, comme un miroir de mes rêves, envies, ou angoisses, qui sait ? Présence de ce que je ne suis pas, ce que j’aurai peut-être pu devenir. Qui-est-là ?

Jouer ce chemin de la création en train de se faire, abandonner les idées préconçues.

Lui : Tu veux faire quoi sur cette affiche ?

Elle : Quelle drôle de question. Comme si je pouvais savoir le résultat avant de lancer le dé.

UN COUP DE DÉ JAMAIS N’ABOLIRA LE HASARD, EXCEPTÉ PEUT-ÊTRE UNE CONSTELLATION1.

Constellation : Relier certaines étoiles pour former une image virtuelle, chaque fois inédite.
Une constellation, un chemin, fil de la ligne qui relie les tâches, leurs couleurs, pour former son portrait.

Attention !

Attention, s’arrêter. Maintenant.

Non, pas un trait de plus, pas une tâche de plus.

Stop.

Équilibre à ne pas briser, non-fini fini. Laissé à la charge de l’autre, ne plus y toucher, s’en détacher, mais conserver son regard. Juste son regard. Pourquoi le regard de mes portraits est si important ? Pourquoi chercher dans le non-vivant, cette présence, ce regard sur soi ?

Présences :

D’où viennent ces présences ?

Wajdi Mouawad dans Visage retrouvé, fait dire à son personnage :

Avec les années, le silence s’est transformé en couleurs étalées avec colères sur les toiles de mes vertiges. Tableaux où j’ai tenté de retrouver d’abord la forme des visages aimés et perdus, puis leurs poésie et leur colère et leurs chagrins, tableaux par centaines où des espaces se sont éveillés avec des fracas de bleu en mille nuances, faisant de l’aventure de la beauté une plongée au cœur même de la violence et de la peine de ce qui avait rendu mon existence ennuyante2.

Lire et se sentir si proche et si éloignée. Comment un auteur avec des lettres peut retranscrire, poser Le problème. Qu’est-ce-que je cherche, moi ? Pourquoi peindre ? Pourquoi ces portraits qui m’entourent ? Dans les textes de l’auteur, la peinture agit s’explique par le procédé du fusil de Tchekhov, les personnages créent pour retrouver quelque chose déjà précédemment suggéré, l’enfance, le silence…

Mais, malheureusement, pour moi, ni accessoire, ni public, ni textes (aussi beau) pré-écrits à clamer.

Ce qui est cherché reste mystérieux, perdu pendant des années, il revient, au grand jour, afficher son obscurité. Redécouvrir le désir de trouver les présences, les visages, les expressions. Mais de qui ?

Pourquoi s’en entourer ?

Faire semblant de congédier la solitude. S’entourer d’image comme des souvenirs de ce qui n’a jamais existé.

Déjà vu :

Ou des fantômes de ce qui a été ? De ce qui a été déjà peint, ne faire que se répéter ? Pourquoi, répéter encore la répétition ?

Gradiva ou sculpture de Jules et Jim, l’art parfois semble précéder de la vie. L’inverse, est-ce-possible ? L’art peut-il ramener à la vie les fantômes trop tôt oubliés, les images dont l’impression rétinienne n’est pas restée suffisamment tracé sur les parois noirs de mes yeux clos. Ombre et lumière d’images quotidiennes, de regards croisés et aimés. Juste l’instant de les oublier. Refuser de s’en séparer.

Hasard ? Concordances des temps, peut-être. Il y a quelques mois partait celui qui le premier m’avait appris les balbutiements du dessin, du maniement du pinceau et des couleurs. Fantôme.

Revenir à ces instants, tout oublier pour tout réapprendre, à nouveau, encore et encore.

Recommencer à peindre maintenant ?

Hommage aux souvenirs oubliés.

Recouvrir la mémoire.

Retrouver la peinture ?

Retrouver l’écriture.

Ne plus s’en séparer.

1 Stéphane Mallarmé, Un coup de dé jamais n’abolira le hasard.

2 Wajdi Mouawad, Visage retrouvé.

Texte écrit pour une exposition à La Chapelle de Mayran, Saint Victor la Coste, 27 et 28 Juin 2015

Photographies de l’exposition :

PaulineDesiderioRecouvrirlamémoire2015

PaulineDesiderioCouvrirEtDécouvrir2015

PaulineDesiderioDéchirure

1 Pauline Desiderio, Recouvrir la mémoire, 2015

2 Pauline Desiderio, Couvrir et Découvrir, 2015

3 Pauline Desiderio, Déchirure, 2015

PaulineDesiderioDécollage

PaulineDesiderioEntre4yeux

4 Pauline Desiderio, Décollages, 2016

5 Pauline Desiderio, Entre quatre yeux, 2016


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