Les éclipses du signe, La métalittéralité ou l’échec de l’objectivisme artistique — Corentin Delcambre


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Une des qualités majeures de l’article de M. Delcambre est d’envisager et de clairement exposer la dynamique des forces qui opèrent dans l’œuvre d’art : des antagonismes irréductibles et opérant, invitant, voire obligeant le regardeur de les traverser. Ainsi, le seuil de la littéralité à la métalittéralité est problématisé dans son devenir dans la littérature et l’art plastique. L’auteur pose un regard critique sur la possibilité même de la littéralité pure invoquant inéluctablement son au-delà auquel il s’adosse. Une nouvelle perspective s’offre à partir du refus de la représentation et de l’analogie au cours du XXe siècle, n’abolissant pourtant pas un ordre symbolique qui se définit autrement dorénavant. Force est de constater que le regardeur autant que le lecteur, en fuyant le signe, trouvent un chemin à travers l’œuvre menant du hors-sens de la littéralité au chemin du sens de la métalittéralité.

Les éclipses du signe

La métalittéralité ou l’échec de l’objectivisme artistique

I. Immersion du signe

Exercice de style

Le fragmentaire nous engage sur la voie de l’insatisfaction, du non-achèvement, du défaut de la concision et de l’hétérogénéité. Une pensée parcellaire nous est nécessaire pour capter les impressions constellaires de notre objet de réflexion et créer une interface active et dialectique qui nous amènera non pas vers une vérité triomphante et unaire mais vers un chemin plurivoque et questionnant. Ainsi pour Adorno, « les textes élaborés comme il convient sont comme des toiles d’araignées : denses, concentriques, transparentes, bien structurées et solides ». Il ajoute : « Ils attirent en eux tout ce qui rampe, tout ce qui vole. Les métaphores qui les traversent furtivement deviennent leur proie et leur nourriture »1. Mais une telle organisation n’est pas sans conséquences. Problématiser un sujet par fragments implique nécessairement le manque, le désœuvrement comme l’est l’utopie de la littéralité, le désir jamais assouvi d’une radicalité neutre dans l’art minimal. Elle est en quelque sorte l’aveu d’une impossibilité de saisir la vérité de l’œuvre et assure l’implication d’une pensée esthétique critique. Si le fragmentaire et la littéralité supposent apriori un dérèglement de tous les sens, la coexistence des antagonismes, le sauvetage de l’essence énigmatique des œuvres2, l’irréconciliable, l’interruption qui « rend possible le devenir »3 ne se réalise qu’à travers un goût amer et heureux de l’inachevé.

« Quand ça y est ça y est »4

La littéralité nous sensibilise au « poids des images »5. Elle suppose par conséquent un questionnement plus général sur le lire-voir et sa réactualisation dans la violence aporétique de la dissolution des images. Est littéral ce qui fait transparence, frontalité, signe vide. Pour Roland Barthes, cette transparence qu’amène la littéralité est la « forme la plus haute de l’expression artistique »6 en ce sens qu’elle se construit difficilement sur le lieu du langage et qu’elle s’affirme comme un « refus de s’engager dans un procès de signification »7. La transitivité et la relation symbolique sont rompues par l’effort de la déflation littérale et engagent donc le souci du réel et de sa matérialité. Creuser, fouiller la lettre, pratique du degré zéro. Donc avant tout un effort, un acte (Gleize), un geste (Georges Didi-Huberman) : un travail de composition. Cette littéralité peut être envisagée comme une heuristique poétique (Jean-Marie Gleize, Emmanuel Hocquard, Dominique Fourcade), une émancipation de l’objectité (Donald Judd, Sol Lewitt) mais elle est avant toute chose une résistance à la représentation. Celle-ci ne naît pas nécessairement d’un mouvement mais d’une constellation d’œuvres, d’auteurs, de symptômes qui ont eu pour projet de ne pas représenter, de ne pas fabriquer une illusion mais de présenter la chose « littéralement et dans tous les sens », autrement dit composer simplement. Ainsi, Duchamp, Malevitch, Kafka, Mallarmé, Flaubert, Manet sont autant de simplificateurs qui ont participé à la création moderne d’une approche littérale de l’art et de la littérature8 qui s’intensifie surtout dans les années 60 aux Etats-Unis avec l’art minimal et la poésie objectiviste de la Beat generation. Les artistes ne cherchent plus à faire du beau, plaire à la majorité mais à défaire tout esthétisme : viser l’anesthésie duchampienne et prôner l’ascèse de la représentation. Le minimalisme poétique et artistique coïncide avec le meurtre de l’analogie. Une fois nettoyé, blanchi dans le ressassement du travail littéral, l’objet nous interroge sur la réactualisation de l’expérience esthétique et les images sont rendues à leur plus simple appareil. C’est en partie le projet difficile de l’écriture moderne objectiviste. Pour le poète Emmanuel Hocquard, il faut écrire négativement, c’est-à-dire par simplification, dépouillement, afin de rendre compte d’une insignifiance essentielle de l’écriture poétique et ainsi travailler à un évidement, présenter « une page sans effet de sens »9. Le défi est réel et paradoxalement expérimental : la recherche de la simplicité, de la pureté adamantine, du trésor enfoui n’est réalisable qu’à travers le travail renouvelé du signe et de la résistance à la métaphorisation qui gît en tout langage.

L’assèchement des figures

Le concept de littéralité, dans sa définition la plus commune, s’oppose radicalement aux principes connotatifs qui introduisent un second degré de représentation. Autrement dit, le sens est compris dans sa brutalité « qui s’attache à chaque lettre d’un mot, d’un texte »10 selon le dictionnaire Larousse, soit sa signification première dénotative et anti-métaphorique. Jean-Marie Gleize reprend cette définition pour en faire le principe moteur de sa théorie poétique :

C’est parce qu’il est littéral, c’est-à-dire qu’il n’a pas de sens (ou pas d’autre sens que ce qu’il dit en se disant), qu’il est donc insignifiant comme les choses elles-mêmes, que tel énoncé peut avoir tous les sens possibles : littéralement, donc dans tous les sens.11

Dès lors, le projet littéral de Gleize se rattache à une certaine matérialité prônant le parti-pris des choses « elles-mêmes » sans l’attribution d’un sens ni la participation d’une subjectivité. La chose décrite est maintenue dans son « insignifiance » ou son « obscénité »12, sa banalité et sa nudité. Ici l’insignifiance est à comprendre dans son ambiguïté sémantique : dans un premier temps, l’insignifiance est ce à quoi on ne prête pas attention, c’est-à-dire l’indifférence et la spontanéité de la quotidienneté, ce que Maurice Blanchot nommait sa « puissance de dissolution »13 dans le réel. Dans un second temps, le terme se complexifie et se dérobe à l’univocité de la signification. Alors « insignifiant » désigne chez Jean-Marie Gleize le dérèglement et la polyvalence sémantique maintenue dans son indécidabilité interprétative. Par sa simplification et l’utilisation des matériaux industriels, l’art minimal aspire au « less is more » qui suppose une réduction, un hygiénisme des formes et des figures qui aseptisent volontairement et inévitablement le sens. Les modules de Donald Judd, les surfaces plates de Carl André tendent ainsi sur cette littéralité de l’objet en jouant sur sa dissolution dans l’espace. Sur ce point, la littéralité comprise comme épuisement, abrasivité de la figure rompt avec la part transcendantale que promet le préfixe « méta », supposant le transport, le regard en surplomb (« au-delà ») ou à proximité (« à côté de »). Quelque chose rate et dépasse l’objet dans sa matérialité. Ainsi faut-il, pour écrire littéralement, « écrire les accidents du sol »14 – formule emblématique formulée par Jean-Marie Gleize dans Les Chiens noirs de la prose –, c’est-à-dire penser en prenant compte des phénomènes de bordure, au plus près de la terre, humblement : écrire sans surplus. Le symbolique ne s’infiltre plus, l’éclipse immerge le signe et dérègle tous les sens.

Plus blanc que blanc

La négativité littérale est utopique en ce sens qu’elle est une recherche radicale d’un effacement, d’une blancheur renouvelée et éclatante. Dans son introduction au Degré zéro de l’écriture, Roland Barthes envisage l’écriture blanche comme travail apophatique, c’est-à-dire comme un travail soustractif où le réel ne se désigne que négativement par dénudation, retrait des représentations :

style de l’absence qui est presque une absence idéale du style ; l’écriture se réduit alors à une sorte de mode négatif dans lequel les caractères sociaux ou mythiques d’un langage s’abolissent au profit d’un état neutre et inerte de la forme ; la pensée garde ainsi toute sa responsabilité, sans se recouvrir d’un engagement accessoire de la forme dans une Histoire qui ne lui appartient pas.15

L’écriture blanche se caractérise ainsi par sa transparence, sa neutralité et l’abolition de toute connotation. Elle est autre part définie comme une écriture dépourvue de ces propriétés qui permettent d’avoir un style16. Une littérature purement informationnelle donc, du style sans style essayant d’assécher tout fait d’affect, toute intimité. Ainsi est-elle qualifiée par Roland Barthes de « présence sans passion » – présence désaffectée, asymbolique, « apathique » vécue comme « ruine du langage »17. On comprend donc que le souci de la blancheur est crucialement un défi de la représentation dénudée, de la souveraineté du sans style et de l’écriture de l’origine que l’écriture mallarméenne puis blanchotienne ont poétiquement cherché à transcrire. L’œuvre « se réalise historiquement en disparaissant »18, s’effaçant dans la « puissance de dissolution du quotidien »19 par sa blancheur, son aspiration à ne plus faire discours, à faire présence par sa propre consumation. C’est sous ce rapport que le suprématisme de Malevitch s’inscrit dans un auto-effacement, l’asymbolisme par l’abstraction et la ruine de toute transitivité. C’est ainsi que le dépouillement chromatique des White Paintings (1951) de Robert Rauchenberg, des monochromes blancs de Robert Ryman ont joué un rôle central dans l’inquiétude de la littéralité minimaliste des années 60 que l’on retrouve par ailleurs dans la poétique de ce que Roland Barthes a nommé « écritures blanches » inaugurée par L’Etranger d’Albert Camus. La neutralisation chromatique, formelle, sémantique de ces œuvres, en tant qu’elles introduisent une négativité, ne peuvent être comprises que comme une recherche radicale mais utopique de littéralité pure.

Sorties de route

La question de la littéralité aussi bien en art qu’en littérature est avant tout une question de sortie : sortie d’un style, sortie d’un genre, d’un concept impérieux que l’on souhaiterait assigner, sortie de la représentation comprise comme cadre, comme médiation symbolique. Dans son essai Sorties, le post-poète Jean-Marie Gleize entend creuser la poésie par l’écriture littérale. Approche difficile, question de langage, générique, sortir par le dedans. Le questionnement ontologique et générique de l’identité se creuse à partir de son application pratique. Pour sortir de la poésie, il s’agirait donc de pratiquer la poésie littérale. Ici, l’adjectif participe pleinement à la création d’une forme de négativité du genre et repose sur une forme de consumation de la poésie par elle-même : « quelque chose qui la contient et l’annule »20. Cette poésie littérale « s’invente par négation »21 et se construit depuis un héritage critique de la pratique poétique. La versification, le lyrisme que l’on attache habituellement au concept de poésie, semblent dévorés par la neutralisation : « les lauriers sont coupés »22. Cherchant à vider la page de toutes ses scories et s’approcher d’une blancheur originelle mais inaccessible, la littéralité gleizienne s’efforce à défaire les figures en échappant aux métaphores. Il est donc entendu qu’une telle démarche interdit tout transport (méta-phorê), toute transposition : le « désaffublement », reprenant le terme de Francis Ponge, de la langue : « l’assassinat prémédité de l’ode et du chant par son objet »23. Sur ce point, la littéralité gleizienne nous apprend que l’approche littérale met en tension son propre contenu jusqu’à sortir d’elle-même (ek-stare).

Espace spécifique 1

En 1965, Donald Judd explique son projet artistique dans son article « Specific objects », et souhaite en finir avec la traditionnelle opposition entre la peinture et la sculpture. L’article s’attaque implicitement au formalisme dont la figure emblématique, Clément Greenberg, prône un art qui ne devrait pas sortir de son médium habituel, c’est-à-dire de sa discipline propre. Ainsi la peinture ne doit pas sortir de sa planéité, sa bidimensionnalité, la sculpture de sa frontalité, son immédiateté. L’argument formaliste va d’ailleurs nourrir les réflexions critiques de Michael Fried à propos de la notion de littéralité chère aux minimalistes. Dans « Art and Objecthood »24 – article publié deux ans après « Specific objects » – Michael Fried rejette radicalement l’objectité caractéristique des œuvres minimalistes dont il réfute l’artisticité. La littéralité est renvoyée au concept de théâtralité, à savoir pour lui une mise en scène de la présence de l’œuvre : « L’adhésion du courant littéraliste à l’objectité n’est en fait qu’un plaidoyer en faveur d’un nouveau genre de théâtre et le théâtre est aujourd’hui la négation de l’art »25. La « spécificité » du travail de Donald Judd se caractérise par la négation de cette tradition qui tend à séparer la peinture de la sculpture et révèle, dans le même temps, une impureté catégorique : « But this work which is neither painting nor sculpture challenges both. It will have to be taken into account by new artists. It will probably change painting and sculpture »26. L’objet s’émancipe de toute catégorisation. Le concept de spécificité qui motive l’œuvre de Donald Judd reste difficile à définir. Le caractère « spécifique » de l’art reposerait sur le scepticisme vis-à-vis du modernisme qui prétend séparer les médiums. L’indécision se creuse dès lors que l’œuvre entre dans ce que Lucy Lippard nommait le « third stream »27, à savoir l’entrée du tableau-objet dans l’espace réel et sa sortie de la planéité représentative qui la rattachait à l’illusionnisme pictural. La spécificité de l’œuvre réside en ce sens dans ce qui la rend « objet » en privilégiant les formes cubiques, notamment les parallélépipèdes.

Espace spécifique 2

Les Stacks que Judd commence en 1965 sont des agencements de plusieurs modules en plexiglas fluorescents rouges que l’artiste privilégie pour sa rigidité lisse (en inox, câbles en acier inoxydable). La transparence du rouge laisse apparaître la surface du mur et anime les jeux d’ombres et de lumières. Les 10 « piles », les modules – ou « unités » écrit-on souvent – qui forment l’œuvre sont à une équidistance de 23 cm entre elles. En omettant un socle, une base sur laquelle aurait pu se poser l’œuvre, Judd tend à s’éloigner à la fois de la figuration mais aussi des caractéristiques de la sculpture et ainsi à échapper à l’anthropomorphisme. Pour Robert Smithson – qui eut quelques affinités avec l’art minimal avant de se lancer dans le land art – l’objet juddien, dans sa littéralité, relève d’une « inquiétante matérialité »28uncanny materiality »). L’interprétation de Smithson nous ramène à une autre caractéristique de la spécificité juddienne qui est aussi symptôme d’une mutation de l’appréhension de l’œuvre : c’est la relation qu’entretient l’œuvre avec son environnement. L’œuvre ne se limite pas à ce que l’on voit29. La fusion du module, de l’objet dans son champ circonstanciel, c’est-à-dire son contexte d’exposition bouleverse le rapport du spectateur avec l’œuvre. Plus précisément, elle participe à sa « chosification » – selon la terminologie de Hilton Kramer – qui permet justement de l’identifier non plus à un foyer de sens, à un anthropomorphisme (qui invite le spectateur à se satisfaire d’une lecture symbolique), mais bien à une chosalité maintenue dans son anonymat. Judd insiste sur cette problématique :

There is little of any of this in the new three-dimensional work. So far the most obvious difference within this diverse work is between that which is something of an object, a single thing, and that which is open and extended, more or less environmental. There isn’t as great a difference in their nature as in their appearance, though.30

Dans cet extrait de « Specific objects », Judd décrit une différence essentielle entre l’œuvre comme « unicité » (« a single thing ») et l’œuvre comme « être-ensemble »31. La différence repose sur la dialectique entre l’objet et son environnement (« open and extended »). Si on regarde une seconde fois les Stacks, on remarque que la composition, aussi simple soit-elle, dessine bien une délimitation marquée par un début et une fin des modules qui sont adossés au mur. Les pièces sont toutes de la même taille, de même distance et construisent finalement comme une suite d’unités. Du point de vue du spectateur, la perception de l’œuvre doit se faire à travers une immédiateté visuelle. La littéralité dans l’art minimal s’articule ainsi par la mise en relation avec l’espace qui l’environne. C’est sous ce rapport que s’opère la « puissance de dissolution » blanchotienne de l’œuvre et la réduction minimaliste qui répudie le signe.

« A rose is a rose »

Frank Stella est sans doute une des figures les plus emblématiques de la littéralité en peinture dans les années 60-70. Si nous avons reconnu chez Jean-Marie Gleize une approche critique de la littéralité en tant que dépassement du concept de poésie, de la neutralisation partielle de la métaphore et du lyrisme, en ce qui concerne la question iconographique, il semble qu’il y ait chez Frank Stella un déplacement du régime du voir. L’artiste nous incite à resserrer le champ du regard, à voir ce qu’il y a à y voir, sans aucun surplus symbolique ni connotation et, en ce sens, nous pousse à modifier notre régime perceptif de la réalité. Cette littéralité transparaît généralement dans les textes qui commentent son œuvre à l’instar de la formule tautologique désormais célèbre prononcée en 1964 lors d’une interview: « What you see is what you see »32. Du grec tautologia, le terme signifie « qui dit la même chose » et introduit une redondance qui conduit à une évidence selon des présupposés intrinsèques à l’énoncé. Le discours tautologique révèle ainsi une vérité logique mais ne peut, selon Clément Rosset33, définir le réel. D’un autre côté, pour Roland Barthes, si elle est « la tristesse qui tue la pensée et le monde »34, c’est parce qu’elle construit une assertion, un rapport d’évidence. Plus précisément, cette nouvelle auto-identification laisse apparaître dans les années 60-70 un nouveau régime de l’expérience artistique qui préserve l’œuvre à travers son mouvement autistique : fabriquer sa propre autonomie face à la récupération et à l’esthétisation de la politique et des industries. Pour Guislain Mollet-Viéville qui relève l’importance de la tautologie à travers les œuvres de Frank Stella, Robert Morris et Claude Rutault, le « jeu de la tautologie » désigne :

un mouvement circulaire et profondément réflexif ou iconique grâce auquel l’œuvre tente de se clore sur elle-même en ne montrant que ce qu’elle est ou l’opération en quoi strictement elle consiste.35

La fonction de la tautologie est de construire l’intransitivité de l’œuvre. Celle-ci se déploie dans son autoréflexivité l’amenant à s’affirmer à partir de paradigmes internes. C’est dans cette optique que Stella emploie la tautologie comme trope, c’est-à-dire en tant qu’outil rhétorique contre l’illusionnisme pictural. Dans ses premiers travaux dans les années 60 – on pensera surtout à ses Shaped canvas – la peinture laisse apparaître des lignes régulières qui épousent la forme de la toile de manière à construire une parfaite adéquation, une fusion entre la forme et le fond. Les Shaped canvas ne sont plus rectangulaires ni carrées mais de forme autre, souvent en forme de lettre de l’alphabet. Les Shaped canvas abolissent tout effort de ressemblance en même temps qu’elles neutralisent la distanciation entre le regardeur et l’objet. De fait, la tautologie stellienne est au service de la littéralité. En d’autres termes, elle est une approche soustractive pour fonder une « nouvelle modalité de la peinture abstraite »36. La littéralité stellienne remplit en ce sens une double fonction depuis la mise en place d’un cadrage tautologique. La première fonction est celle qui est à l’œuvre en peinture : la répétition des formes entre la ligne et le contour de la toile. Ici, la tautologie est une forme, un outil graphique, un jeu de résonances. La deuxième fonction consiste à réduire l’image à ce que l’on voit ; à ne pas « regarder l’invisible », c’est-à-dire autre chose que ce qui se présente à nous : la lecture symbolique. Pour Carl André, la littéralité stellienne introduite par la tautologie ouvre la voie à un « art de non-association »37.

II. Emersion du signe

Des figures de littéralité(s)

L’éclipse du signe est transitoire, éphémère : le soleil finit toujours par émerger de nouveau. Éclipser, c’est encore se mouvoir, élaborer de nouvelles modalités et de nouvelles possibilités : envisager un devenir. Cela veut dire que le symbolique ne disparaît jamais tout à fait. Il n’y a donc pas de disparition, d’évaporation de l’objet dans son environnement. Cela veut dire aussi que l’oeuvre d’art ne peut se soustraire à une intransitivité radicale, comme le soutient Jean-Marie Gleize dans sa façon de penser le « fantasme »38 de la littéralité comme objectivité, pensée moins assumée chez les modernistes et les minimalistes.Il semblerait donc que l’histoire « des littéralités »39 ne soit – pour reprendre le mot radical de Bertrand Rougé – paradoxalement qu’un « illusionnisme », c’est-à-dire un échec. Si on se tient à la tautologie selon laquelle ce que l’on voit est ce que l’on voit, alors les qualités littéralistes de l’œuvre sont nécessairement internes, tournées vers le dedans laissant le regardeur dans une situation ambiguë. Le regard reste piégé dans le discours stellien qui construit une distance interdisant tout anthropomorphisme, toute analogie et toute interprétation. La perception de l’image est réduite entre « « ce que l’on voit » et « ce que l’on y voit » »40. Or, le travail du minimal art ne doit pas être réduit à cette lecture mythifiée puisque la formule de Stella s’inscrit, que l’on veuille ou non, dans une continuité historique et culturelle. Autrement dit, la prétendue pureté de la littéralité serait fuyante. Ainsi ne peut-on considérer la littéralité que comme un trope41. Elle ne serait en fait qu’une image, une figure de la modernité. Toujours fuyante, la prétendue littéralité est contaminée par l’extérieur qui l’informe.

Une théâtralité de l’objet

Dans son article « Art & Objecthood » qui prolonge la critique formaliste de Clément Greenberg en s’attaquant à la prétendue « objectité » de l’art minimal, Michael Fried développe une thèse qui interroge sur la construction, la « mise en scène » de l’œuvre « littéraliste » (« literalist work »). Précisément, citant Robert Morris selon qui le travail minimaliste s’inscrit dans une temporalité, l’argument de Fried repose très justement sur la fabrication de cette durée qu’il blâme à travers le concept de « théâtralité » : « l’adhésion du courant littéraliste à l’objectité n’est en fait qu’un plaidoyer en faveur d’un nouveau genre de théâtre et le théâtre est aujourd’hui la négation de l’art » 42. Pour Michael Fried, la littéralité de l’œuvre produit un paradoxe dans la mesure où cette littéralité est construite dans le regard du spectateur. Aussi, nous faisons l’expérience d’une présence ou d’une mise en situation de l’objet dans l’espace muséal/ d’exposition. C’est cette présence qui fait la dramaturgie, la pseudo-distance – pourrait-on dire – de l’œuvre. « Art & Objecthood » récuse, à travers la thèse de la théâtralisation, la littéralité développée chez certains artistes du minimal art et par-là même reconfigure la lecture et l’expérience artistique de ces œuvres : « l’art littéraliste s’éprouve comme un objet placé dans une situation qui, par définition presque, inclut le spectateur »43. De fait, Fried réactualise le rapport entre le percepteur et l’œuvre en révélant de façon très provocante sa part latente et « anthropomorphique »44. En resituant l’œuvre dans un espace « spécifique », en faisant d’elle une fiction, l’art prétendument littéral prouve qu’elle est une impossibilité étant elle-même la représentation d’une présentation. L’article de Michael Fried a ouvert la voie à d’autres discours critiques qui souhaitent détacher l’art minimal de ses acceptions littéralistes. Nous souhaitons à ce titre nous écarter en partie de la radicalité du propos de Fried qui ne sépare pas l’art minimal de la littéralité et ouvrir l’art minimal à d’autres devenirs. Le collectif « Ce que vous voyez est ce que vous voyez », tautologie et littéralité dans l’art contemporain, publié aux Presses universitaires de France en 2009, propose d’analyser les procédés tautologiques qui participent à la littéralité de l’objet. Mais malgré les intérêts que l’on peut ressentir à propos de l’emploi rhétorique de la tautologie (argument-moteur intrinsèquement lié à la question de la littéralité), on ne peut véritablement nier l’utopisme stellien dans sa quête de l’asymbolisme absolu. C’est en partie ce qu’affirme Jacques Santo rejoignant l’argument de Michael Fried en parlant ironiquement de « littéral et demi » ou de « trope de la littéralité »45. Plus radical, Bertrand Rougé dénonce l’« illusionnisme » latent de la littéralité qu’il considère d’ailleurs comme une « erreur ».

What you see is not what you see

La tautologie comme slogan de la littéralité échoue dans la fabrication d’une clôture du sens et de l’univocité sémiotique. La formule tautologique est toujours informée, influencée par des extériorités qui, pour reprendre les images de la fuite, s’infiltrent dans l’apparente fermeté et autonymie de la littéralité stellienne. La formule tautologique impose toujours-déjà une distance. C’est de ce point de vue que, pour Bertrand Rougé, il ne peut y avoir que des figures de littéralité :

Il faut donc bien conclure que la défaite du littéralisme moderniste est inscrite – occultée et exhibée à la fois – au cœur même de son énoncé pseudo-tautologique, parce que la littéralité ne survit pas au littéralisme. « What you see is what you see » dit secrètement, mais nécessairement, « What you see is not what you see ». La tautologie littéraliste fonctionne donc, elle aussi, comme un trompe-l’œil. Elle énonce la littéralité, mais elle manifeste que la littéraliste en art est nécessairement une illusion, (parce) que tout littéralisme est nécessairement un illusionnisme.46

D’un point de vue métalinguistique, Madeleine Frédéric décrit comment le discours tautologique qui supporte la littéralité est toujours symptomatique d’une réflexion linguistique. Autrement dit, la littéralité finit par connoter. Madeleine Frédéric explique que la tautologie exprime quelque chose de la situation d’énonciation, de l’attitude de celui qui parle et laisse transparaître les « traits connotatifs que le locuteur désire réactiver pour son interlocuteur »47. En ce sens, d’un point de vue linguistique, la tautologie est toujours signifiante ; elle connote toujours quelque chose et fait sens en arrière-fond du discours du locuteur. Dans le cas de Stella, la formule censée faire d’un objet un objet semble éclater de l’intérieur pour s’offrir à toute une pluralité d’autres images, d’autres significations. L’univocité se substitue fatalement à l’équivocité. L’hémorragie du sens est aussi une hémorragie des sens. La tautologie n’échappe pas à l’interprétation toujours-déjà annoncée dans le discours tautologique et la polysémie à laquelle l’image peut renvoyer. Prétendre une littéralité serait impossible dans le sens où elle est une théâtralisation par sa présence (Michael Fried), une illusion (Bertrand Rougé) ou le miroir même de la sphère sociale (Benjamin Buchloh). L’œuvre, malgré sa platitude, l’assèchement de sa représentabilité, finit fatalement par « faire des mondes », par faire symbole, « tenir en tant que ». Elle finit aussi par fabriquer du sensible : la chaleur, la lumière des Stacks de Donald Judd dépouillent l’objet de sa littéralité. En tant qu’œuvre signifiante, en tant qu’elle obéit à une « fonction artistique », l’image construit des rapports analogiques.

Ce que nous voyons, ce qui nous regarde

À l’impérieuse formule stellienne « Ce que vous voyez est ce que vous voyez », Didi-Huberman envisage une contre-formule : « Ce que nous voyons, ce qui nous regarde ». Le spectateur fait face à un choix entre le regard de l’évidence, celui de la tautologie qui consiste à voir unilatéralement ce qui est à voir, ravivant la formule de Frank Stella « What you see is what you see » et un regard dialectique, complexe, qui introduit une obscurité de l’image et de son interprétation. En ce dernier sens, l’image s’ouvre à toute une pluralité de possibles jusqu’à l’anthropomorphisme. Nous choisissons d’aborder Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, puisqu’il s’agirait de conjurer la lecture tautologique d’une œuvre, son univocité radicalisée – sa littéralité – à partir du concept de dialectique de l’image. En réhabilitant ce double rapport, en confrontant croyance et tautologie, Georges Didi-Huberman cherche à recenser le dilemme du voir, à savoir deux lectures bien distinctes : l’une est stellienne et judienne et fait de l’œuvre d’art la manifestation d’une littéralité ; l’autre est celle de Michael Fried qui renie l’œuvre à travers sa critique systématique de la présence comme « littéralisme » :

Tout œil porte avec lui sa taie, en plus des informations dont il pourrait à un moment se croire le détenteur. Cette scission, la croyance veut l’ignorer, elle qui s’invente le mythe d’un œil parfait (parfait dans la transcendance et le « retard » téléologique) ; la tautologie l’ignore aussi, elle qui s’invente un mythe équivalent de perfection (une perfection inverse, immanente et immédiate dans sa clôture). Donald Judd et Michael Fried ont rêvé tous deux d’un œil pur, d’un œil sans sujet, sans frai et sans varech (c’est-à-dire sans rythmes et sans restes) : contre-versions, naïves dans leur radicalité, de la naïveté surréaliste rêvant d’un œil à l’état sauvage.48

En somme, ces deux pôles renoncent à assumer la complexité latente de l’œuvre d’art dans sa visibilité et son invisibilité, ses temporalités actives par l’intervention d’un regard épuré, « un œil pur », c’est-à-dire simpliste, réducteur, qui transcende l’œuvre et la transforme en une totalité interprétative. Or, nous dit Didi-Huberman, pour désamorcer ce dilemme du voir, il suffit de « regarder sans croire », c’est-à-dire d’assumer toute l’angoisse, l’incertitude, le tremblement de toute tautologie et de toute évidence de l’expérience visuelle.

Ce qui nous regarde, ce que nous voyons

Dans son essai Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Georges Didi-Huberman déjoue le binarisme entre tautologie et croyance en introduisant le symbolique dans le littéral, et ainsi, démontrer qu’il existe d’autres manières de regarder l’œuvre minimaliste, de rétablir sa fondamentale équivocité, son rapport dialectique avec le spectateur. Die (1962) se présente comme cube noir d’1,83 mètre cube – à hauteur d’homme, cela a son importance – ne relevant de la part de Tony Smith, d’aucun « expressionnisme »49. L’analyse de Didi-Huberman souhaite nous démontrer qu’il est possible d’échapper au discours stellien du type : « ce que je vois est un cube et rien qu’un cube ». Partir de Die, c’est accepter le défi et la difficulté de réévaluer toute la complexité latente d’une œuvre d’apparence géométriquement épurée et sans relief Il s’agirait de partir de la forme caractéristique de l’art minimal pour en révéler sa puissance anthropomorphique. Rappelons que l’analyse de Didi-Huberman commence à partir de Fried, c’est-à-dire à partir de la réfutation de la littéralité, tout en sortant de sa radicalité et en convoquant la nécessité de la distanciation pour envisager une mobilité dialectique, l’« inquiétante étrangeté »50 de Die sans la renier. Sous ce rapport, ce n’est pas moins une question « d’étrangisation »51 – selon le fin néologisme de Victor Chklovski – que de mise à distance. Toute œuvre minimaliste aussi épurée soit-elle, peut réveiller la conscience dialectique du voir. Il devient possible, en ce sens, de séculariser le regard en prenant compte de l’intersubjectivité, la relation dialectique que suppose cette distance. C’est à partir de ce moment qu’est introduit le concept de « dialectique de l’image » qui permettra à Didi-Huberman de penser le concept de « double distance » et récuser l’univocité tautologique :

En présentant les œuvres de Tony Smith ou de Robert Morris comme des images dialectiques, j’ai indiqué par avance qu’elles n’étaient pas elles-mêmes des « formes élémentaires », quelque « simples » qu’elles fussent en apparence, mais des formes complexes faisant bien autre chose que délivrer les conditions de pures expériences sensorielles. Parler d’images dialectiques, c’est à tout le moins jeter un pont entre la double distances des sens (les sens sensoriels, l’optique et le tactile en l’occurrence) et celle des sens (les sens sémiotiques, avec leurs équivoques, leurs espacements propres).52

L’analyse phénoménologique redynamise l’activité dialectique et évide toute interprétation stabilisée. Mais comment Didi-Huberman déjoue-t-il cette littéralité ? L’argument est d’abord porté sur la connotation du titre : « Die » signifiant la mort. Le cube noir s’apparente à une pierre tombale. Mais l’attention de Didi-Huberman est avant tout portée sur la « stature » de la sculpture, c’est-à-dire de sa posture, sa présence à laquelle le regardeur est « confrontée » et qui confère à ce cube une dimension anthropomorphique par son échelle jusqu’à en faire des « quasi-portraits »53. Il y a autre chose dans cet anthropomorphisme sans lequel la dialectisation ne peut se faire. Didi-Huberman donne à la sculpture des aspects humains et précise notamment qu’elle pose la question de l’« envisagement » pour démontrer la mise en place subtile d’un anthropomorphisme. Précisons toutefois que cette humanité est « humanité par défaut »54. Il n’y a anthropomorphisme que depuis sa faille. Cela veut dire qu’elle se réalise dans son contraire, dans la dissemblance et la séparation physique entre Die et son spectateur :

Paradoxalement, donc, certaines œuvres minimalistes auront poussé « l’anthropomorphisme » jusqu’à confiner au portrait – mais celui-ci n’aura existé que dans le jeu d’un radical déplacement, qui est défiguration, dissemblance, raréfaction, retrait. 55

De fait, c’est en convoquant les autres sens, la double spatialisation (proximité-éloignement) et la corporéité de l’objet que l’image est dépossédée du regard. C’est en ce sens, à travers cette double distance, cette dialectisation, que Georges Didi-Huberman récuse la lecture tautologique (Judd, Stella) tout en reniant du même coup, son versant radical : le symbolisme formel (Fried). Il faudrait donc « regarder sans croire », libérer le regard de la croyance en « s’inquiétant de l’entre »56, c’est-à-dire en dialectisant, en activant le processus de distanciation entre proximité et éloignement, ressemblance et dissemblance. Didi-Huberman conjure l’anthropomorphisme de Michael Fried et l’élargit à un anthropomorphisme plus complexe.

Labyrinthe

On entre dans l’espace d’une œuvre comme on entre dans un labyrinthe. Malgré l’univocité et l’intransitivité aspirées par les objectivistes, l’expérience d’une œuvre est une expérience du seuil, c’est-à-dire une expérience à l’intérieur d’une architecture complexe et indéfinie faisant alterner le dedans et le dehors57. L’entrelacement dialectique s’active, les antagonismes de l’œuvre d’art se révèlent. Une fois enfermé dans un système faussement simple, faussement évident (la littéralité), il faut adopter toute une multiplicité de postures, de mises en distance ; il faut accepter de se perdre, de se détacher du sens pour trouver une sortie interne. Le Philadelphia labyrinth que Robert Morris crée en 1974 semble être la métaphore de cette autodifférenciation de l’œuvre minimaliste. Pour Barbara Rose, « l’analogie est éloquente : emprisonné par sa propre invention, celui-ci imagine un moyen d’évasion artificiel (c’est-à-dire artistique) »58. Nous ne sortons donc de l’art que par des moyens d’art ; nous ne sortons du symbolique que par le symbolique.

Chant contre-chant

Il convient de dire que l’œuvre n’est jamais innocente et se remplit d’une opacité à laquelle il est impossible d’échapper. « Rien n’est plus infidèle qu’une écriture blanche »59 constate Barthes. La transparence et la littéralité poétique s’affranchissent de toute idéalité. Parce que toute écriture laisse passer un faisceau d’affects, que la lumière du sens émerge de l’éclipse, la poésie littérale ne peut être que consciente de son défaut d’objectivité. Produisant des intensités, laissant entrevoir un style dans l’absence de style, des restes lyriques dans la déflation littérale, l’écriture est souscrite à une impossibilité de la littéralité et de la dénudation totale de la représentation. Ainsi, pour le poète Emmanuel Hocquard, « la poésie blanche n’a jamais existé »60. Dans « Le Chant des lessiveuses », Gleize évoque une écriture qui « déchante » mais qu’il faudrait aussi « construire61 ». Ici, déchanter signifie utiliser les voies du chant, du lyrisme, en prendre le contre-pied et finalement se projeter dans un « lyrisme négatif »62. Pas de suppression totale donc, mais « simplification » de la figure, « désafflublement »63 pongien de l’image. Dans son échec, la littéralité laisse place à une dialectique de dépassement-annulation dans laquelle est contenue la lutte aporétique entre la figure et sa défection. Pas d’objectivité ni subjectivité assumée mais oscillation pendulaire qui confère au texte une tension interne. Dès lors, l’écriture poétique serait le lieu d’une tentative de désertion de la poésie dont « on ne sort pas »64 mais dont la porte de sortie se construirait progressivement à partir de la « tension littérale »65. Gleize en développe les caractéristiques à partir de sa lecture de la Théorie des tables d’Emmanuel Hocquard :

L’activité littérale est ainsi cette activité de disparition, cette façon d’être personne qui est exactement le contraire, par ironie, « lyriquement » le contraire, d’une certaine forme de poésie précédente, et croyant précéder ce qui est, ainsi n’entendant rien et vouée à n’être rien, quand il s’agit en fait de n’être simplement et littéralement personne. 66

Dans ce court passage exégétique qui fait de la poésie littérale un dispositif critique, l’intérêt se tourne vers la construction d’un paradoxe : « « Lyriquement » le contraire » ici doit être compris comme l’expression d’un contre-chant, le travail à rebrousse-poil, c’est-à-dire l’exercice d’écriture qui ferait le procès du langage par le langage dans une figurabilité autodestructive (se référer à Littéralités où Gleize évoquera la « figuration défigurative » de Denis Roche) : « Une fois de plus, la frontière lyrique – non lyrique ne passe pas entre cette œuvre et son dehors, mais à l’intérieur de l’œuvre elle-même, comme une tension constitutive ».67

III. La tension métalittérale

Faits d’éclipse

De fait, l’œuvre ne peut générer qu’une tension interne des antagonismes qui la compose et non un binarisme de ses catégories esthétiques : elle n’est ni radicalement symbolique ni radicalement littérale. Il faut penser l’éclipse dans son mouvementé : immersion puis émersion, torsion du symbolique sans l’abandonner tout à fait. Nous avons effectivement pu voir que la pensée littérale souhaite faire taire le signe, effacer la métaphore en jouant sur la transparence et l’objectité. Mais l’œuvre ne peut échapper à un anthropomorphisme ou une distance dialectique (Georges Didi-Huberman), mettant en scène sa propre intransitivité qui n’est qu’une transitivité tournée vers soi (Michael Fried). De même, la blancheur catégorique de l’écriture objectiviste est elle-même consciente de l’impossibilité pratique d’une page dénudée de son sens (Jean-Marie Gleize). L’œuvre moderne installe toujours une mise en contradiction de son propre régime esthétique : le lyrisme devient négatif (chant/contre-chant), la transitivité intransitive et la littéralité métaphorique.

Vers une métalittéralité : le cas Robert Morris

Ainsi faut-il concevoir la métalittéralité comme une traversée de la littéralité. L’enjeu ne peut être compris que d’un point de vue dialectique : l’œuvre ne correspond ni à une littéralité ni à un symbolisme superstitieux mais à une traversée pendulaire, un fait d’éclipse oscillant éternellement entre immersion et émersion ; elle est une littéralité ratée sans être interprétable comme une métaphorisation. Les œuvres de Robert Morris partent des mécanismes de l’art minimal pour sortir du mythe de la littéralité et donner une importance nouvelle à l’autodifférenciation, la contingence dans l’installation, la forme sans qualité. Sa démarche artistique consiste à réfuter l’idée d’une autonomie de l’œuvre d’art. L’œuvre de Robert Morris défait l’immersion du symbolique en jouant sur la question de la littéralité et de l’objectité propres à l’art minimal ainsi qualifié « d’autoritarisme macho »68. L’expérience esthétique de l’œuvre de Morris implique une dialectisation du voir et du sentir, appliquant ce qu’il a appris de la phénoménologie de Merleau-Ponty. Ces nouvelles revendications qui appellent à un nouvel art sont décrites dans « Notes on Sculpture » et « Déclaration d’intention » :

Ce qui se révèle là, c’est que l’art lui-même est une activité de transformation, de désorientation et de changement, de discontinuité violente et de mutabilité, de volonté de confusion, y compris lorsqu’il se consacre à la découverte de nouveaux modes de perception.69

L’autorité du discours stellien est ainsi récusée par l’exercice des voies artistiques : l’œuvre introduit des interférences ou des « discontinuités » que l’on retrouve manifestement dans le projet des antiformes et des Mirrored cubes. à partir de 1965), Robert Morris entreprend la réalisation des Mirrored cubes qui offrent un atout particulièrement éclairant dans la critique de la littéralité par ses surfaces réfléchissantes. De prime abord, on pourrait croire que l’objet se présente au regardeur comme une œuvre unifiée, une Gestalt, le cube étant une forme récurrente et totale de l’art minimal. En fait, elle active un paradoxe. Les Mirrored cubes sont à la fois image et devenir de l’image. Son dispositif réfléchissant laisse entrer sans retenir ce qui l’entoure et incorpore furtivement l’environnement de l’œuvre qui l’ouvre à une « désintégration imminente »70 pour Barbara Rose. L’œuvre se cache véritablement derrière l’image qu’elle reproduit. Aussi bien que pour Robert Morris, elle met en jeu une dématérialisation. Dans sa redistribution parcellaire des espaces, le Mirrored cube brise l’automatisme de la vision tautologique. L’œuvre produit une différence dans la « discontinuité ». En ce sens, l’approche abordée n’est pas tant une « désintégration » – toujours selon Barbara Rose – qu’un éclatement d’une totalité en plusieurs fragments. L’œuvre-miroir de Morris déplace les modalités de l’œuvre minimaliste qui se réfléchit elle-même et prétend à une autonomie. Il s’agirait plutôt de penser l’œuvre non pas comme une circularité fermée sur elle-même mais plutôt comme une circularité ouverte sur l’extérieur, à l’altérité. Les Mirrored cubes laissent transparaître la circulation de devenirs rendus visibles par l’effet miroir. C’est le passage du déterminé à l’indéterminé, au devenir-autre des images. La singularité de l’objet se complexifie dans la contingence et la redistribution de la lumière et des représentations.

Une littéralité parodiée 

Mais comment fonctionne ce système qui ramène toujours du différent et des espaces hétérogènes là où l’œuvre minimaliste se définissait apriori par une clôture du sens, par une clôture de soi ? Il faut d’abord préciser que, pour Jean-Pierre Criqui, l’œuvre de Robert Morris se veut « falsificatrice »71, précisément parce qu’elle pastiche avec beaucoup « d’autodérision »72 les mécanismes autonymiques de l’art minimal : Box with own making est relié à un fil et a besoin d’électricité pour faire fonctionner le dispositif conceptuel. Il en est de même avec les Three L-Beams qui empêchent une « perception naïve de la forme ». Mais l’autocritique chez Morris prend une ampleur plus grande et dialectique avec les Mirrored cubes :

La réintroduction, dans ces travaux comme dans les installations de miroirs qu’il réalise à la même période, de l’espace illusionniste de la peinture, renvoyé dos à dos à l’espace réel de la sculpture, marque un nouveau pas dans le processus de désillusion qui dit l’absurdité de toute croyance idéologique attachée à l’art.73

L’image est motivée par cette dialectique qui la transforme en image-critique. En 1965 avec ses Battered Cubes – œuvres qui présentent une difformité géométrique – la question de la littéralité et de la « croyance » de l’objet est implicitement traitée par l’effet trompe-l’œil du cube. Pour Catherine Grenier, ce sont des « objets-pièges »74 qui trompent la confiance du regardeur en sa mémoire et ses certitudes :

Objet biaisé, comme des cartes truquées de prestidigitateur, ces « cubes » sont en réalité des polygones irréguliers, dont la légère distorsion n’est visible que dans une présence attentive et critique au volume, distorsion qui bien évidemment se répercute sur le sens même de l’œuvre et vient contredire la notion « d’objet spécifique » de Judd, sur laquelle s’était déterminée l’expérimentation minimaliste, au profit exclusif d’une « relation spécifique » des objets, de l’espace, de la lumière et du spectateur-acteur.75

L’approche décrite par Catherine Grenier est proprement phénoménologique dans la manière dont est décrit le regard « attentif et critique » qui est demandé au spectateur. Son analyse souligne toute la complexité du rapport entre sujet et objet. Le dispositif des Battered cubes nous apprend que l’identification immédiate, spontanée, pour ne pas dire littérale, de l’image et de la sculpture nécessitent une réévaluation constante des modalités perceptives. L’œuvre ne retient rien, et son identité, bien que formée, reste fuyante et s’expose à des devenirs indéterminés. Nous avons démontré que l’expérience artistique ici est assimilable à une expérience du seuil, c’est-à-dire une expérience à l’intérieur d’une architecture complexe et indéfinie faisant alterner le dedans et le dehors. En reprenant les mécanismes formels de l’art minimal et en y incluant des qualités réfléchissantes, génératrices de nouvelles formes, en produisant une hétérogénèse, l’expérience visuelle se déplace et déconstruit artistiquement les certitudes « idéologiques » liées à la littéralité.

Note sur l’auteur

Docteur en Littérature et Esthétique à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France (Valenciennes), Corentin Delcambre travaille sur les « gestes d’incendie », c’est-à-dire sur le travail de consumation des œuvres littéraires et visuelles modernes et contemporaines. Ses recherches se concentrent sur la façon dont les œuvres introduisent leur propre désœuvrement dévoilant ainsi leur contenu critique latent. Il a écrit « Pour une écopoétique négative. Étude à partir du Livre des cabanes de Jean-Marie Gleize »dans la revue québécoise Postures en 2022 et a récemment communiqué sur « Essere umile. Penser une éthique de l’esthétique depuis l’œuvre de Giuseppe Penone » dans le cadre de la journée d’étude Corps de l’objet, un « objeu » d’art ? le 19 Avril 2024.

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Notes

1 ADORNO Theodor. W, Minima moralia, (trad.fr. Eliane Kaufholz et Jean-René Ladmiral), Payot, coll. « Collection Petite Bibliothèque Payot », 2016, p. 118.

2 « L’énigmatique des œuvres est leur caractère fragmentaire ». ADORNO Theodor W, Théorie esthétique (trad. Fr. Marc Jimenez & Eliane Kaufholz), Klincksieck, 1995, p. 181.

3 BLANCHOT Maurice, L’Entretien infini, Gallimard, coll. « nrf », 1969, p. 107.

4 Formule de Manet tirée de BROGOWSKI Leszek ; FRANGNE Pierre-Henry (dir.), « Ce que vous voyez est ce que vous voyez », tautologie et littéralité dans l’art contemporain, Presses universitaires de Rennes, coll. « AEsthetica », 2009, p. 166.

5 GLEIZE Jean-Marie, Sorties, Questions théoriques, coll. « Forbidden Beach », 2014, p. 425.

6 Roland Barthes cité par Jean-Philippe Rimann dans « Analogie degré zéro », Ecritures blanches (Dominique Rabaté et Dominique Viart dir.), P-U Saint-Etienne, coll. « Travaux du CIEREC », 2009, p. 16-17.

7 Ibid.

8 Cf. BOBILLOT Jean-Pierre, Trois essais sur la poésie littérale, De Rimbaud à Denis Roche, d’Apollinaire à Bernard Heidsieck, Paris, Éditions Al Dante, 2003.

9 HOCQUARD Emmanuel, Son blanc du un, P.O.L, 1986, p. 11.

10 Larousse.fr Définitions : littéral – Dictionnaire de français Larousse

11 GLEIZE Jean-Marie, Sorties, Questions théoriques, coll. « Forbidden Beach », 2007, p. 65.

12 Gleize évoque à propos de « L’Huître » de Ponge une « poétique de l’obscénité, c’est-à-dire de la lucidité, du refus des illusions et de l’illusionnisme ». « La Poésie en orbite. Francis Ponge » in GLEIZE Jean-Marie, Littéralité. Poésie et figuration à noir, Poésie et littérarité, Questions théoriques, coll. « Forbidden Beach », 2014, p. 206.

13 BLANCHOT Maurice, L’Entretien infini, op. cit., p. 365.

14 « J’utilise pour écrire les accidents du sol. J’utilise pour écrire les ondulations du sol, de la terre battue, centrifuge ». GLEIZE Jean-Marie, Les Chiens noirs de la prose, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Fiction et Cie », 1999, p. 40.

15 BARTHES Roland, Le Degré zéro de l’écriture in Œuvres complètes, t. I, Éditions du Seuil, 2002, p. 60.

16 Cf. VOUILLOUX Bernard, « L’écriture blanche existe-t-elle ? », Écritures blanches (Dominique Rabaté et Dominique Viart dir.), op.cit., p. 33

17 RABATE Dominique, VIART Dominique, « introduction », Écritures blanches (Dominique Rabaté et Dominique Viart dir.), op.cit., p. 21.

18 BLANCHOT Maurice, De Kafka à Kafka, Gallimard, coll. « Idées », 1982, p. 19.

19 BLANCHOT Maurice, L’Entretien infini, op.cit., p. 365

20 DESTREMAU Lionel, « Entretien avec Jean-Marie Gleize » in Poésiemuziketc., Avril 2012. Voir lien URL : https://poesiemuziketc.wordpress.com/2012/04/18/entretien-avec-jean-marie-gleize/

21 GLEIZE Jean-Marie, Sorties, op. cit., p. 25.

22 Ibid., p. 7.

23 Ibid., p. 73.

24 FRIED Michael, « Art & Objecthood » in Artforum, vol. V, n° 10, juin 1967.

25 FRIED Michael, « Art et Objectité » in Contre la théâtralité, (trad.fr. Fabienne Durand-Bogaert), Paris, Gallimard, coll. « nrf », 2007, p. 119-120.

26 « Mais cette œuvre qui n’est ni de la peinture ni de la sculpture interpelle les deux. Elle devra être prise en compte par les nouveaux artistes. Elle va probablement changer la peinture et la sculpture » [NT]. JUDD Donald, « Specific objects » in Arts Yearbook 8, 1965.

27 LIPPARD Lucy. L, « The Third Stream : Constructed Paintings and Painted Structures » in Art Voices, vol. 4, n° 2, 1965.

28 SMITHSON Robert, The Writing of Robert Smithson, Éditions Nancy Holt, New-York, 1979.

29 Cf. KRAUSS Rosalind, « Allusion and illusion in Donald Judd » in Artforum, vol. 4, n° 9, 1966.

30 « Il n’y a pas grand-chose de tout cela dans les nouvelles œuvres tridimensionnelles. Jusqu’à présent, la différence la plus évidente au sein de ce travail diversifié est entre ce qui est une sorte d’objet, une chose unique, et ce qui est ouvert et étendu, plus ou moins environnemental. La différence n’est pas aussi grande dans leur nature que dans leur apparence. » [NT]. JUDD Donald, « Specific objects », op.cit.

31 « In the three-dimensional work the whole thing is made according to complex purposes, and these are not scattered but asserted by one form. It isn’t necessary for a work to have a lot of things to look at, to compare, to analyze one by one, to contemplate. The thing as a whole, its quality as a whole, is what is interesting. The main things are alone and are more intense, clear and powerful. ». Idem.

32 « Questions à Stella et Judd », entretien avec Bruce Glaser, in GINTZ Claude, Regards sur l’art américain des années soixante, in Claude Gintz, éd., Regards sur l’art américain des années soixante, Paris, Territoires, 1979, p. 58.

33 ROSSET Clément, Le Démon de la tautologie, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », 1997.

34 BARTHES Roland, Mythologies, in Œuvres complètes, t. I, op. cit., p. 96-98. Voir le texte de BROGOWSKI Leszek et FRANGNE Pierre-Henry, « Vers un art sans écart ? » in Leszek Brogowski, Pierre-Henry Frangne (dir.), « Ce que vous voyez est ce que vous voyez », tautologie et littéralité dans l’art contemporain, op. cit., p. 8.

35 MOLLET-VIEVILLE Guislain, « Le Jeu de la tautologie dans l’art des années soixante et soixante-dix : Frank Stella, Robert Morris, et Claude Rutault » in « Ce que vous voyez est ce que vous voyez », tautologie et littéralité dans l’art contemporain, op. cit., p. 113.

36 BROGOWSKI Leszek et FRANGNE Pierre-Henry, « Vers un art sans écart ? » in Leszek Brogowski, Pierre-Henry Frangne (dir.), « Ce que vous voyez est ce que vous voyez », tautologie et littéralité dans l’art contemporain, op. cit., p. 9.

37 Carl André cité par Dodie Gust. GUST Dodie, « André : Artist of Transportation » in The Aspen Times, 18 Juillet, 1968.

38 GLEIZE Jean-Marie, Sorties, op. cit., p. 43.

39 « Il conviendrait donc d’écrire une histoire de la modernité qui fût une histoire de la littéralité, mais aussi, sans doute, une histoire des littéralités – car la littéralité a pris des formes multiples au cours du siècle dit moderniste ». ROUGÉ Bertrand, « Le Littéralisme est un illusionnisme, ou l’erreur des Modernes. Autour de Manet, Stella, Warhol et Danto » in Leszek Brogowski, Pierre-Henry Frangne (dir.), « Ce que vous voyez est ce que vous voyez », tautologie et littéralité dans l’art contemporain, op. cit., p. 160.

40 Ibid., p. 171.

41 SANTO Jacques Santo, « À littéral, littéral et demi » in Leszek Brogowski, Pierre-Henry Frangne (dir.), « Ce que vous voyez est ce que vous voyez », tautologie et littéralité dans l’art contemporain, op. cit., p. 197.

42 FRIED Michael, Contre la théâtralité, (trad.fr. Fabienne Durand-Bogaert), op. cit., p. 119-120.

43 Idem.

44 Ibid., p. 19.

45 SANTO Jacques Santo, « À littéral, littéral et demi » in Leszek Brogowski, Pierre-Henry Frangne (dir.), « Ce que vous voyez est ce que vous voyez », tautologie et littéralité dans l’art contemporain, op. cit., p. 197.

46 Ibid., p. 179.

47 FREDERIC Madeleine, « La Tautologie dans le langage naturel » in Travaux de linguistique et de littérature, Strasbourg, Centre de Philologie et de Littératures romanes, vol. XIX, n°1, 1981, p. 320.

48 Ibid., p. 51.

49 Ibid., p. 87.

50 DIDI-HUBERMAN Georges, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1992, p. 88.

51 « Et voilà que pour rendre la sensation de la vie, pour ressentir les objets, pour faire de la pierre de la pierre, il existe ce qu’on appelle l’art. Le but de l’art est de délivrer une sensation de l’objet, comme vision et non pas comme identification de quelque chose de déjà connu ; le procédé de l’art est le procédé « d’étrangisation » des objets, un procédé qui consiste à compliquer la forme, qui accroît la difficulté et la durée de la perception, car en art, le processus perceptif est une fin en soi et doit être prolongé ». CHKLOVSKI Victor, L’Art comme procédé, (trad.fr. Régis Gayraud), Allia, coll. « Petite collection », 2008, p. 23-24.

52 DIDI-HUBERMAN Georges, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, op. cit., p. 125.

53 Ibid., p. 96.

54 Ibid., p. 96.

55 Idem.

56 Idem.

57 « Le labyrinthe est une forme de l’expérience, il est aussi une métaphore de la pensée – celle de l’artiste, des méandres de la constitution de l’œuvre, des discontinuités, des déambulations qui sont à l’origine de son élaboration ». BONNE Sally, Les Mots et les œuvres, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2017, p. 145.

58 ROSE Barbara, « L’Odyssée de Robert Morris » in Robert Morris, Robert Morris, Paris, Centre Georges Pompidou, 1995, p. 171.

59 BARTHES Roland, Le Degré zéro de l’écriture in Œuvres complètes, t. I, op.cit., p. 218.

60 Cité par Ghislain Mollet-Vieville, « Ecriture blanche et art minimal », Ecritures blanches (Dominique Rabaté et Dominique Viart dir.), op.cit., p. 239.

61 « […] un contrechant, ça ne s’improvise pas, il faut y travailler, le préparer, le construire ». GLEIZE Jean-Marie, Sorties, op.cit., p. 70.

62 Idem.

63 Ibid., p. 22.

64 Ibid., p. 156.

65 GLEIZE Jean-Marie, « La figuration défigurative. Denis Roche », Littéralité. Poésie et figuration à noir, Poésie et littérarité, op. cit., p. 249.

66 GLEIZE Jean-Marie, Sorties, op. cit., p. 205.

67 Ibid., p. 93.

68 MORRIS Robert, « American Quartet » in Art in America, n°10, décembre 1981, pp. 93-105.

69 MORRIS Robert, « Déclaration d’intention » in Art conceptuel, une entologie, Éditions MIX, 2008, p. 442.

70 « Lorsque Morris reprendra ses pinceaux, ce ne sera pas pour peindre à l’huile sur une toile, mais à la cire et sur du métal. Le risque d’une dissolution se lit clairement dans ses tableaux réfléchissants qui, tel notre monde, se retrouvent pris dans une lutte entre reconnaissance et désintégration. Ici l’expérimentation technique devient une métaphore puissante, et on y trouve la suggestion de désintégration imminente ». ROSE Barbara, « L’Odyssée de Robert Morris » in Robert Morris, op. cit., p. 177.

71 Cf. GRENIER Catherine, « Robert Morris et la mélancolie. La face sombre de l’œuvre » in Robert Morris, op.cit, p. 24.

72 « C’est une illusion de penser que les artistes aient jamais eu quoi que ce soit à dire sur la fonction de leurs œuvres […]. Peut-être est-ce parce qu’il est amoral que l’art peut s’accommoder de toutes les sortes d’extrêmes au niveau social. C’est une entreprise que sa nature pousse à l’investigation des extrêmes. L’art érode tout ce qui cherche à le contenir et à s’en servir, et inévitablement s’infiltre dans les recoins les plus opposés, touche le nerf le plus refoulé, trouve et nourrit la contradiction sans effort. L’art a toujours été une force destructive, le meilleur exemple en étant sa capacité constante à s’autodétruire, alors que dans l’enlisement du modernisme il est devenu un ensemble de règles établies qui rationalisent une procédure, un style de vie ». MORRIS Robert, « Notes on Art as/ and Land Reclamation » in October, vol. 12, 1980. Cité par Catherine Grenier, p. 23.

73 Ibid., p. 24.

74 Ibid., p. 18.

75 Idem.


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