L’esprit métaphysique de Raymond Ruyer — Habib Bardi

À lire en PDF


Ou sur le site

Pour une fois, la rédaction a fait un pas de côté avec ce travail de Bardi Habib, cet exposé n’offrant aucun parti pris esthétique. Néanmoins, le fait de se pencher précisément sur un auteur méconnu pour nous, Raymond Ruyer, a piqué notre curiosité. Et la façon de suivre le cheminement d’une pensée — puisque l’article retrace l’évolution de la question métaphysique, d’un rapport de l’être au Tout à travers différentes œuvres — permet d’en montrer le foisonnement et l’enrichissement perpétuel. Cet esprit en mouvement de Raymond Ruyer s’accorde au désir d’Esquisses de regarder sans saisir, de voir comment s’articulent certaines choses sans les enfermer dans des domaines scientifiques clos sur eux-mêmes, de réfléchir sans fabriquer de dogme.

L’esprit métaphysique de Raymond Ruyer

Il convient sans doute de qualifier Raymond Ruyer1 de pur métaphysicien : un philosophe à la recherche des formes et des structures fondamentales de la réalité, au-delà de leurs manifestations sensibles, dans leur dimension « absolue », leur être « en soi ». C’est cette « grande voie naturelle de la philosophie »2  que Ruyer, dans sa vie et dans son œuvre, et à rebours du siècle de la critique et des déconstructions, a si joyeusement et obstinément arpentée. Lors d’un discours inspiré, prononcé en 1941 alors qu’il était prisonnier de guerre, Ruyer distingue deux « traits essentiels de l’esprit philosophique » : « possède l’esprit philosophique celui qui s’intéresse à tout ; possède l’esprit philosophique sous sa forme propre, l’esprit métaphysique, celui qui s’intéresse au Tout. »3.

S’intéresser « à tout », pour le philosophe, c’est s’ouvrir à l’ensemble des activités et des modes d’expression humains et non-humains, arts, sciences, mythes, phénomènes naturels et surnaturels ; c’est refuser de réduire la philosophie à une « spécialité » cantonnée à ses dualismes traditionnels4 . C’est là qu’un intérêt « universaliste » pour les sciences devient nécessaire, voire coextensif à la pratique de la philosophie. Ruyer se saisit des problèmes les plus actuels de l’embryologie, de la physique quantique, de la linguistique, de l’anthropologie, de la psychologie ; il produit des analyses profondes et originales de la vision, de la mémoire, de l’expérience onirique. Voir « en toute chose une idée, donc un phénomène intéressant », montrer une « curiosité universelle »5, telle est la condition d’exercice de l’esprit philosophique.

Condition nécessaire mais non-suffisante : car si elle n’allait pas « au-delà », la philosophie se trouverait entièrement subordonnée à l’histoire des sciences et des techniques. Et si la forme propre de la philosophie est effectivement méta-physique, c’est alors un intérêt pour le « Tout » – pour les lignes de continuité, d’appartenance et de participation entre les phénomènes, lignes de coexistence –, qu’il s’agit de cultiver. Il faut donc passer au-delà : au-delà du visible, de l’actuel, du physique, de la facticité des sciences particulières, et ce, sans jamais les méconnaître, car ils donneront l’élan. D’abord – c’est l’aspect critique, négatif du geste ruyérien – pour montrer leurs limites : leur incapacité à expliquer, dé-finir et maîtriser le tout du réel, leur manque de positivité, leurs secrètes mythologies. Et surtout – positivement – pour atteindre le « fond » métaphysique des choses : leur dimension créative, finalisée, virtuelle et immatérielle, que jamais n’épuisera la considération scientiste des faits (« ce petit faitalisme »6, comme le nommait Nietzsche). Ruyer souligne que le « passage » d’un intérêt pour « tout » à un intérêt devant le Tout, passage d’une curiosité universelle mais empirique à une investigation portant sur l’Être pris comme totalité, est à la fois « naturel » et « inévitable » :

Le passage si naturel, si inévitable, d’une formule à l’autre fait déjà paraître combien difficile est l’entreprise de dissocier esprit philosophique et esprit métaphysique comme le voudraient tant de gens animés des meilleures intentions envers l’esprit philosophique.7

Par cette présentation générale de la métaphysique de Ruyer, c’est de la nécessité de ce passage que nous voudrions tenter de rendre compte. Nécessité vécue par Ruyer lui-même au cours de l’élaboration de sa philosophie : c’est par une étude approfondie des sciences positives que Ruyer, à la fin des années 1930, fait l’expérience des limitations du scientisme, et éprouve la nécessité de passer « au-delà », dans un renversement qui conduit à la philosophie de la maturité. Nécessité conceptuelle ou systématique, ensuite, car ce passage n’indique rien de moins que le fondement théorique du système de Ruyer. Le « premier principe »8 de la philosophie ruyérienne est : il y a un « au-delà à la réalité physique », l’observable et l’actuel n’épuisent pas le Tout du réel. C’est le statut exact de cette dimension sur-actuelle ou métaphysique qu’il faudra élucider. Nécessité méthodologique, enfin, car elle prescrit la démarche adoptée par Ruyer pour accueillir les données de la science et élaborer son système : méthode des rapprochements ou des isomorphismes9. Notre exposé se déploiera donc successivement suivant deux axes principaux : nous retracerons la genèse de la philosophie de Ruyer au contact des sciences de son temps en montrant comment, au sein même du système ruyérien, opère ce passage au-delà, cette référence à une dimension métaphysique, à un « ailleurs » que Ruyer nommera le trans-spatial10. Il s’agira ensuite de tirer des conclusions plus générales sur la méthodologie ruyérienne et sur les rapports que celle-ci instaure entre science et philosophie.

Le structuralisme pur de l’Esquisse d’une philosophie de la structure (1930)

La philosophie de Ruyer se présente comme une critique du mécanisme, entendu comme le présupposé ontologique de toutes les sciences positives : leur « mythe minimum »11. Un tel mythe postule une réalité intégralement causale, c’est-à-dire liée de proche en proche, où les phénomènes actuellement répartis dans l’espace agissent les uns sur les autres de l’extérieur, par contact, dans un ordre successif et linéaire (partes extra partes). Si la science peut prétendre à la connaissance du réel, celui-ci doit toujours déjà répondre à ces exigences : comme une horloge ou un automate, il doit être articulé causalement et actuellement observable. Réduite à cet ordre des causes, des figures et des mouvements, la nature devient calculable, objet d’une formalisation et d’une explicitation géométriques.

À la découverte de l’œuvre de Ruyer, il semble alors curieux de remarquer que son premier ouvrage, l’Esquisse d’une philosophie de la structure (1930), soutient des thèses explicitement mécanistes. Motivée par les découvertes d’Einstein et Minkowski concernant la forme de l’univers, c’est-à-dire la structure, la courbure et la topologie de l’espace-temps, l’Esquisse visait à démontrer « l’universalité et la suffisance des descriptions structurales »12 : « il n’y a de réalité que d’une seule sorte : la réalité géométrico-mécanique, la forme, la structure »13. La physique einsteinienne permet à Ruyer de « purifier » le mécanisme de son matérialisme latent depuis Descartes : le réel n’est ni matière, ni esprit, mais pure structure géométrique – ordre et forme. Or, malgré la nouveauté et l’élaboration de son appareillage conceptuel, la théorie de la relativité continue de présupposer un ordre de liaison qui régit mécaniquement les mouvements des corps dans l’espace-temps (ainsi pour le concept de « ligne d’univers »14). À cette étape de son itinéraire théorique, l’ontologie naissante de Ruyer est encore une radicalisation, voire une absolutisation du mythe mécaniste ; elle reste homogène aux sciences physico-mathématiques de son temps. Aussi ne présuppose-t-elle aucune dimension sur-actuelle ou transcendante : l’ordre et la forme, la structure de l’espace-temps est entièrement actuelle, ici et maintenant ; ne recelant aucune virtualité, aucun « résidu mystérieux », elle « épuise le tout de la réalité »15, sans supposer de différence de nature entre matière et esprit. Dans la nature, il n’y a de distinction que structurelle ou mécanico-formelle, concernant l’ordre de liaison etl’ensemble de positions des êtres dans l’espace-temps – leur mécanisme ou fonctionnement causal :

L’arbre n’est qu’un système de courbures et de torsions d’espace-temps. La représentation consciente même que j’ai de l’arbre, grâce aux modulations sensorielles de mon cortex cérébral, n’est aussi qu’un système structural. Le mode de liaison, fourni par les neurones, de ce système, est différent de celui de l’arbre végétal – ce qui explique qu’il ait des propriétés et des modes de fonctionnement bien différents : l’image de l’arbre ne prend pas racine dans ma tête, de même qu’un ours en peluche ne mord pas. Mais il s’agit bien de deux structures et il y a correspondance structurale entre elles.16

Au même titre que les choses matérielles, la conscience est intégralement descriptible comme structure spatio-temporelle, localisée dans les liaisons neuronales, dans le fonctionnement du cerveau17 : « Si l’on pouvait construire un appareil physique reproduisant toutes les liaisons physiques du système nerveux, cet appareil serait conscient »18. En ce sens, la conscience est étendue, et la connaissance n’est rien d’autre qu’une correspondance entre deux structures : celle de la conscience ou représentation mentale, et celle de l’objet perçu. Cette correspondance entre les « formes à liaisons cérébrales », et les « formes à liaisons objectives »19 est « toujours perfectible »20 ; aussi renvoie-t-elle au protocole d’observation des sciences de la nature, qui n’ont véritablement prise que sur des choses observables. Ce « structuralisme pur »21 se présente comme une conception fondamentalement réaliste (la structure de la conscience est localisée dans l’espace-temps, en l’occurrence dans le cerveau), qui se défend d’être un matérialisme ou un idéalisme (de type kantien ou postkantien, c’est-à-dire centré sur l’activité du sujet connaissant).

La radicalité des spéculations de jeunesse de Ruyer annonce la profondeur du renversement que leur fera subir la maturité. C’est d’ailleurs comme si, dès les toutes premières pages de l’Esquisse, Ruyer semblait pressentir l’insuffisance et le dépassement de ses propres hypothèses22. A partir de la conception totalisante qu’il soutenait au début des années 1930 : « l’être est structure spatio-temporelle et rien d’autre »23, Ruyer fait progressivement évoluer ses vues en les confrontant aux résultats de deux sciences naissantes : la physique quantique et l’embryologie expérimentale. Chacune jouera un rôle fondamental dans la métamorphose de l’ontologie ruyérienne. On ne pourra assez insister sur la profondeur de cette transformation. Au-delà du « panmécanisme »24 des débuts, la physique quantique fera passer la conception ruyérienne vers un spiritualisme (la matière n’existe pas, tout est esprit) et un « panpsychisme » (tout est conscient) ; au-delà de l’actualisme, l’embryologie lui ouvrira la voie d’un vitalisme nouveau (tout est vivant), dans une rupture qui coïncide avec la découverte du trans-spatial.

La conception de la conscience dans la première philosophie de Ruyer

C’est en approfondissant sa conception de la conscience-structure que Ruyer fait un premier pas « au-delà » du physique. Il convient de préciser la portée philosophique de ces thèses initiales pour mesurer l’ampleur du renversement produit par la découverte du quantum d’action. Le « point capital »25 de l’Esquisse était :la conscience est (au même titre que les choses matérielles) un système structural, une pure structure spatio-temporelle, inscrite dans les liaisons neuronales. Cette idée pousse Ruyer à radicalement distinguer la conscience de la connaissance. Car la conscience, si elle est dotée de sa structure propre, doit être un « être » avant d’être un « connaître ». Au moins depuis Kant, connaître implique un sujet connaissant, cette « mystérieuse entité »26 se rapportant à un objet extérieur : le « regard sur » la carte. Ruyer abolit la distance, et donc la relation de dépendance entre le regard et la carte, entre la conscience et son objet. C’est que la conscience est pure sensation. Soit l’exemple privilégié par Ruyer : celui de la sensation visuelle. Il n’y a pas de sens à poser de séparation entre la conscience et sa propre vision : coextensif à l’esprit, le champ visuel est immanent, la conscience est « sans distance ». Il n’y a pas de troisième œil, pas de sujet spectateur de ses propres sensations, qui sont sa seule réalité. Car « c’est l’objet qui est vu, et non le champ visuel lui-même »27. Ruyer analyse longuement les conditions logiques et psychologiques de cette illusion de la « mise en scène » de l’expérience : si un peintre voulant produire une représentation complète de l’univers était un sujet placé à l’extérieur de son propre champ visuel, il se verrait forcé de se peindre lui-même en train de peindre ce même champ, et ainsi de suite, s’enfonçant dans une régression à l’infini28. La position d’un sujet extérieur à la sensation relève d’une absurdité logique ; or « il faut bien s’arrêter »29, écrit Ruyer, pour que la conscience redevienne « être ». La sensation ne suppose alors aucune dimension supplémentaire ; immanence radicale, elle n’est pas immanente à un sujet : regards purs, nous n’avons pas nos sensations, nous les sommes. Si bien que la conscience n’est pas d’abord intentionnelle : servant une phénoménologie trop idéaliste à son goût, Ruyer montre que la « conscience de » et la réflexion sont secondes, qu’elles arrivent après, car la conscience est avant tout structure, réalité, c’est-à-dire un certain mode de liaison. Paradoxalement, la conscience agit comme liaison ou unification d’une multiplicité de sensations en un tout cohérent dont elle ne se distingue pas réellement. Ces thèses restent conformes à celles de l’Esquisse : « La conscience ne devient connaissance que si elle est considérée dans sa fonction de correspondance structurale avec l’objet qui est à l’origine de la modulation cérébrale. »30 Sans cette réalité primordiale, « originaire » dira Ruyer en imitant les phénoménologues, l’intentionnalité demeure sans fondement31.

Après l’Esquisse, au début des années 1930, Ruyer vit une période théorique trouble, où il transforme progressivement ses propres vues, par voie de radicalisation. C’est en poussant ses thèses sur l’autonomie ontologique de la conscience dans leurs derniers retranchements qu’elles viennent à évoluer. Car si toute conscience est, en elle-même, un certain ordre de liaison mécanique, qu’elle dispose donc d’une structure et d’une réalité propre, indépendante de l’intentionnalité ou de la réflexivité d’un sujet, cette autonomie semble prendre l’allure d’une véritable subjectivité. Si bien que, d’une manière fort paradoxale que Ruyer affectionne, le subjectif se définit comme ce qui ne dépend pas de l’activité d’un sujet extérieur32. Est subjectif ce qui est en « possession » de soi-même : ce qui n’a dès lors pas besoin de moi ou de ma pensée pour recevoir sa réalité – ce qui m’est ou peut m’être indifférent. Être, avoir sa structure propre, son fonctionnement interne, c’est être un domaine en « auto-possession », ce qui est le propre de toute subjectivité. Il n’y a donc d’existence que subjective, tout est conscience. Ruyer ira jusqu’à écrire : « l’expression “existence objective” est un simple non-sens »33. C’est ainsi que la rupture avec l’objectivisme scientiste est amorcée. Ayant pour modèle la conscience humaine, cette extension universelle du subjectif ou du psychique procède d’un raisonnement analogique caractéristique de la méthode ruyérienne (il nous faudra revenir sur le sens et la légitimité d’une telle méthode). Si bien que Ruyer se sent désormais en droit d’étendre la subjectivité à toute chose, sans modification fondamentale de son structuralisme mécaniste de départ (il s’agit d’un simple « changement de clef »34 : au lieu d’être mécanico-géométriques, les structures sont maintenant subjectives). Car si toute conscience est ordre de liaison, mais que de tels ordres existent en fait partout dans la nature, il semble que la subjectivité doive être étendue à la totalité des êtres. Toute conscience est structure, mais toute structure est conscience : d’où un vague « pansubjectivisme »35, correspondant à ce que Benjamin Berger nomme l’« ontologie transitoire »36 :

Sans modifier encore ma thèse centrale : « L’être est structure spatio-temporelle et rien d’autre », je me rendais mieux compte qu’elle était non seulement bien différente du matérialisme des modèles mécaniques, mais qu’elle en représentait l’antipode. Tout domaine structural, en lui-même, est une sorte de champ de conscience, de conscience-être.37

Mais l’illusion de la mise en scène dissipée, la subjectivité universalisée, l’essentiel des questions demeure : quelle est la nature des liaisons qui définissent la structure-conscience ? Et de quel droit Ruyer peut-il étendre cette structure à la totalité des êtres ? C’est dans les découvertes tout aussi paradoxales de la physique quantique38 que Ruyer va trouver un appui pour fournir leur positivité à ses thèses. Et c’est en prenant cet appui qu’il pourra pleinement s’élancer au-delà de l’ontologie mécaniste de départ. Par rapport aux sciences positives, la philosophie ruyérienne ne sera dès lors plus une confirmation, mais une critique, c’est-à-dire une limitation de leurs prétentions explicatives.

Le quantum d’action : l’envers du décor

La rupture complète avec le mécanisme s’opère lorsque Ruyer révèle l’existence d’une différence de nature entre le mode de liaison de la conscience et celui de la matière. Que les systèmes de liaison soient matériels, subjectifs ou purement géométriques, la causalité continue de s’opérer de proche en proche, et le mécanisme demeure inchangé. Or « seule l’interprétation (spéculative) de données puisées dans les sciences » permet à Ruyer « d’en finir avec la surestimation de la valeur ontologique de la conception mécaniste de la causalité. »39 C’est par l’étude de la nature des réalités microphysiquesque Ruyer comprend définitivement que la conscience est irréductible à la matière. La raison la plus générale en est la suivante : les entités quantiques ne se comportent pas comme la matière au sens classique du terme, qui implique localisation, masse, et impénétrabilité40. Car pouvant apparaître comme onde ou comme corpuscule, les microphénomènes sont de nature probabiliste : c’est seulement lorsqu’ils sont mesurés, observés de l’extérieur que leur état et leur localisation se fixent – qu’ils se trouvent déterminés. Intrinsèque à la réalité, cet indéterminisme n’est pas lié à l’insuffisance de nos moyens d’observation. Un électron est un système dont plusieurs états sont réellement « superposés ». Il s’agit d’une onde non pas réelle mais virtuelle, c’est-à-dire d’un nuage de points ayant une certaine chance de se présenter à tel moment, sous telle allure et à telle localisation (les physiciens diront que l’observation produit l’« effondrement » du système et la sélection d’un état parmi une multiplicité d’états qui coexistent virtuellement). Aussi l’image sphérique de l’atome comme ensemble d’électrons en orbite autour d’un noyau n’est-elle qu’une extrapolation inexacte de la physique classique : en elle-même, l’entité quantique n’est pas observable. À cette échelle, il n’y a pas d’objets déterminés, pas de « choses » – avec tout le poids d’inertie que ce terme implique –, seulement des processus complexes, des entités délocalisées, des activités formatives, qui sont à l’origine des réalités macroscopiques.

Ruyer prend la mesure philosophique de cette transformation. C’est au contact de ces bouleversements concernant la nature fondamentale de la matière, et par une analogie risquée, mais fondée, que Ruyer élabore sa métaphysique. Sa question directrice persiste : quelles sont les structures, quels sont les modes de liaison ? Il remarque alors que, contrairement aux objets étudiés par la physique classique, la structuration des microphénomènes ne se fait pas de proche en proche, qu’elles ne sont pas des structures causales, fonctionnant par contact, comme les rouages d’une machine ou d’une horloge41. Il n’est dès lors plus surprenant que les sciences positives-mécanistes aient rencontré des limites apparemment indépassables avec la microphysique. La cohérence interne de l’atome n’est pas mécanique, elle n’implique pas de parties extérieures et articulées causalement dans l’espace. C’est que l’atome n’est pas une structure, il est structuration en acte : il agit comme force d’unification ou d’individuation, préservant activement sa forme dans le temps. Son être consiste entièrement en un « agir » (d’où la notion de quantum d’action). Or telles sont précisément les caractéristiques de la conscience pour Ruyer :

Elle désigne l’ensemble des interactions qui transforment en un être deux ou plusieurs éléments liés dans ces interactions. La conscience est le nom que l’on donne à l’unité d’un domaine d’interactions, à l’unité systématique qui émerge à mesure que les éléments du système perdent partiellement leur propre individualité.42

Cette analogie entre le comportement des microphénomènes et celui de la subjectivité consciente permet de saisir le sens de l’extension du psychisme dans le système accompli. C’est que la nature de la conscience est éminemment paradoxale : elle est surface absolue. Il s’agit là d’un des concepts fondamentaux de l’œuvre de la maturité, auquel Ruyer se réfère « implicitement »43 aussitôt après l’Esquisse. Le choix du mot « surface » pour caractériser la conscience pourra être compris d’au moins deux manières. Premièrement, la sensation consciente est localisée dans certaines aires ou surfaces cérébrales. Toujours conformément aux thèses de l’Esquisse – et à rebours de la phénoménologie –, Ruyer ménage une dignité ontologique au cerveau : la conscience n’est pas une nébuleuse entité idéelle ou transcendantale, elle est la modulation réelle de certaines aires cérébrales44. Deuxièmement, l’expérience consciente donne naturellement l’impression d’une distance, d’un rapport d’extériorité : elle présente son champ comme surface, car toute surface, pour apparaître comme telle, implique la possibilité d’être observée, survolée du dehors, à partir d’une dimension supérieure ou supplémentaire. Or cette surface est absolue car, nous l’avons vu, ici la distance est en fait nulle, illusoire : comme l’a montré l’analyse de la sensation, la conscience est immédiateté, auto-affection, rapport originaire à soi-même ; son activité de liaison ou d’unification ne suppose pas l’activité ou la réflexivité d’un sujet extérieur. Car la conscience, se suffisant à elle-même, se « possède » elle-même ; aussi est-elle irréductiblement individuelle. Ruyer n’hésite alors plus à multiplier les expressions paradoxales :

Le paradoxe fondamental de la conscience ne peut être énoncé que sous une forme du genre « verre d’eau sans eau », par exemple comme « survol sans survol », « survol sans distance », « liaison sans lien », « liaisons délocalisées », « unitas multiplex », « domaine sans dominus distinct », « surface absolue, sans point extérieur de perspective », etc. Dans tous ces énoncés, un deuxième terme annule quelque chose d’un premier terme.45

Cette nature paradoxale est étrangement analogue à celle de l’atome. Comme l’entité quantique, la conscience est délocalisée, « ubiquitaire », agissant pour ainsi dire partout et nulle part à la fois. Partout car, surface absolue, elle est coextensive à la sensation, n’étant pas ontologiquement différente de celle-ci : unité absolue, elle n’implique pas la liaison de parties extérieures les unes aux autres. Nulle part, car, en elle-même, la conscience n’est pas un objet visible, délimité et observable dans l’espace-temps. Les détails et éléments perçus ne sont pas liés entre eux par une causalité de proche en proche. Les liaisons qui la définissent sont non-localisables, « toujours inférées, jamais observée »46. Par rapport au divers des sensations, elle se présente non pas comme un système de liaisons causal, donné, mais comme un processus d’unification, comme une action liante. La conscience forme et reforme sans cesse sa propre structure; elle est activité de liaison, travaillant au fondement de l’ordre structural et mécanique. Si bien qu’en elle-même, elle semble désormais irréductible aux structures spatio-temporelles. Surface absolue, la conscience, comme l’atome, est auto-formation, genèse – Ruyer la nomme forme absolue ou forme vraie.

À l’œuvre partout dans l’univers, seules ces activités formatives méritent le nom de « réelles ». C’est que les objets macroscopiques observables par la science en dépendent entièrement pour leur existence. Se trouve ainsi fondée et préfigurée l’idée d’émergence47. C’est comme si, sous les structures objectives étudiées par la science mécaniste, Ruyer découvrait l’envers du décor : « « derrière » la structure de l’objet, il y a la forme absolue, subjective, de son être »48. Le spiritualisme de Ruyer peut alors pleinement se déployer. Si toutes les structures matérielles et observables sont engendrées par des formes absolues, il semble que la matière ne puisse plus prétendre à la réalité, que seule la forme-conscience soit réelle ou substantielle.Ruyer a ainsi pu dire que « le matérialisme est mort en 1900 »49, date du début des recherches en microphysique. Il retrouvait par là les idées de Leibniz et de Schopenhauer : la matière est un phénomène, une apparence, car elle n’est qu’un amas ou agrégat de formes absolues, psychiques et individuelles, qui ne deviennent observables que comme agrégat. Ces structures ou agrégats physiques fonctionnent suivant des lois de foule, contraintes émergentes qui n’opèrent qu’aux échelles macroscopiques ; tant il est vrai que « l’ordre physique ne représente pas un ordre de réalité, mais plutôt un mode de légalité »50. Il n’y a ici aucun dualisme ontologique : le phénomène physique émerge du psychique en soi, qui est la seule réalité. En langage kantien, les formes semblent alors renvoyer au domaine des choses en soi, tandis que les structures observables et macroscopiques ne sont que de simples phénomènes. Mais le rapprochement n’est peut-être que nominal, car Ruyer déplace cette opposition idéaliste au sein même du réel étudié par la science : tel est son geste « critique ».

Ruyer arrive ainsi à une distinction décisive pour l’ensemble de sa conception, celle qui oppose la formation au fonctionnement. Dans les mots de Ruyer, le fonctionnement concerne exclusivement les structures matérielles observables, articulées mécaniquement, tandis que la formationest l’activité des formes vraies, des processus de liaison desquels émergent les premières. Cette distinction restera décisive pour toute l’argumentation de Ruyer ; elle a une teneur à la fois ontologique et épistémologique51 : il y a d’une part des sciences statistiques ou secondaires qui observent le fonctionnement des agrégats matériels et les interactions qui les composent de l’extérieur, d’autre part des sciences primaires qui suivent les activités de formation, les processus génétiques (toujours indirectement, car ces processus ne sont pas observables en eux-mêmes). Les premières incluent la physique mécaniste classique, la démographie, l’économie politique classique ; les secondes comprennent la microphysique, l’embryologie, la psychologie, la linguistique – toutes des sciences que Ruyer étudie avec intérêt et curiosité. En tant qu’agrégats, une montagne ou un amas de pierres n’ont donc pas le même statut ontologique qu’un atome ou qu’un être vivant : contrairement aux formes absolues, ils ne tiennent leur principe d’individuation et leur unité formelle que de l’extérieur. D’où la formule de Ruyer : la matière comme esprit « pulvérisé »52.

À la lecture de Ruyer, un biologiste dirait sans doute que les formes absolues sont autopoïétiques ;que, comme une cellule vivante, elles s’efforcent par elles-mêmes de maintenir leur propre cohésion interne. Ruyer révèle en effet une étonnante continuité entre la conscience, l’atome et la vie : il s’agit à chaque fois de domaines de conscience et d’activité, de formes se produisant elles-mêmes et préservant leur cohérence interne dans le temps. Malgré leur disparité, ces domaines sont des formes vraies, car ils répondent à la définition ruyérienne de la conscience : il s’agit d’unités en liaison active, capables d’auto-formation et d’auto-conduction. La généralisation du psychisme n’est donc justifiable qu’à condition d’opérer une distinction entre degrés de conscience. Ruyer doit alors rompre avec les tâtonnements du « pansubjectivisme »53 du milieu des années 1930 : pour ce dernier, tout était subjectif, sans distinction entre le mort et le vivant, le microphysique et le macroscopique. Il faut passer au panpsychisme proprement dit ; or ce passage se clarifie lorsque Ruyer, informé par les découvertes de la microphysique (et de l’embryologie), opère une nouvelle distinction entre la conscience ou le psychisme primaire, activité formative partout présente dans l’univers, et la conscience secondaire qui n’émerge que chez les animaux aux structures les plus complexes, impliquant émotion et réflexion54. Lorsque Ruyer parle de la conscience en général, il ne désigne donc pas la conscience réflexive de l’être humain. Un cerveau, un arbre, un atome, un tas de sable ne sont pas conscients de la même façon : un tas de sable n’est pas conscient du tout, il n’est qu’un agrégat ; un cerveau mort non plus, puisqu’il ne subsiste plus par lui-même ; mais leurs éléments constitutifs – atomes, molécules, cellules encore vivantes – restent des formes en auto-formation, capables de se reconstruire à travers le temps55. Conformément à la classification ruyérienne des sciences, si les réalités macroscopiques ou phénomènes de foule émergent des formes sous-jacentes, la conscience réflexive dépend des consciences primaires, et la hiérarchie traditionnelle entre matière et esprit se trouve étrangement renversée (en ce sens, peut-être l’inconscient freudien est-il plus « conscient » que la conscience réflexive du Moi, puisqu’il est pulsion, c’est-à-dire désir, tendance, formation). Ruyer rend ainsi possible une nouvelle répartition des êtres et des manières d’être. Aussi défait-il l’idée d’une émergence miraculeuse de la vie et de l’être humain : l’apparition de la conscience perd son caractère miraculeux, puisqu’elle est de la même nature fondamentale que la matière, toute spirituelle. Un tel monisme spiritualiste restaure une continuité possible entre les êtres, et l’intérêt pour « tout » de Ruyer s’affirme comme la recherche d’une coexistence du Tout56.

Au contact des sciences de son temps, Ruyer éprouve la nécessité de descendre vers cette dimension formative, celle de la genèsedu réel. Le structuralisme mécaniste du premier ouvrage perd alors sa toute-puissance explicative57. Les structures apparaissent comme des réalités déjà formées, c’est-à-dire des pseudo-réalités : ce sont elles qui sont désormais à expliquer. Le concept de forme absolue, la nouvelle distribution des sciences offrent un premier moyen d’approcher le problème général qui traverse et motive l’œuvre ruyérienne, aporie proprement métaphysique qu’il est possible de ramener à une question à la simplicité désarmante : comment expliquer le passage de l’absence à la présence des structures ? Comment les structures spatio-temporelles, si minutieusement étudiées dans l’Esquisse, passent-elles à l’être ? La nécessité de supposer l’existence d’activités formatives et conscientes pour rendre compte de cette émergence semble alors cohérente. Ruyer passe ainsi au-delà de l’observable, et découvre « le versant réel du fonctionnement58 ». Mais, à côté de la psychologie de la perception et de la physique des particules, la rencontre d’une autre science primaire : l’embryologie, interpelle à nouveau l’esprit métaphysique de Ruyer, lui ouvrant un domaine d’interrogation inédit. C’est que la genèse et le comportement instinctif des êtres vivants implique nouveauté, normativité, finalité et mémoire : comment un œuf « sait »-il fabriquer l’adulte, une amibe se conduire dans l’eau ? Et comment – plus radicalement – un atome sait-il produire et actualiser sa propre forme ? D’où viennent les normes qui dirigent la morphogenèse ? Et comment comprendre ce qui oriente ces « choix » ? La conscience ayant été étendue à tous les vivants, c’est désormais le sens de leur comportement et de leur capacité d’invention qui restent à élucider. Or de tels phénomènes demeurent incompréhensibles sans un approfondissement virtuel, sans la supposition d’une dimension sur-actuelle que Ruyer nomme le trans-spatial.

L’embryologie et la découverte du trans-spatial : le travers du décor

Ruyer est passé au-delà de l’observable. Il semble qu’il faille désormais passer au-delà de l’actuel. L’actualisme de l’Esquisse ne laissait place à aucun « résidu mystérieux59 » : tout le réel était actuellement situé dans la géométrie de l’espace-temps, hic et nunc, en une sorte d’éternel présent. C’est que l’abandon du mécanisme, le passage au-delà ou la descente en-deçà des structures observables pose plus de problèmes qu’il n’en résout, dont le plus général est celui de la nouveauté  les formes nouvelles sur-viennent60». À moins de supposer une dimension potentielle, la créativité des formes, l’émergence de telle structure, allure ou morphologie demeure incompréhensible. C’est ainsi que Ruyer retrouve les recherches de Bergson et Whitehead sur la genèse du nouveau dans la nature et la créativité propre au vivant61. Les structures actuelles n’ont aucune puissance de novation, étant de simples amas ou agrégats mécaniques : « les formes nouvelles sont certainement appelées ou évoquées par les structures déjà acquises, elles prennent leur suite, mais elles n’y étaient pas contenues. »62 Le mécanisme ne peut expliquer l’apparition du nouveau, sinon comme réorganisation ou ré-agencement causal d’éléments extrinsèques déjà formés. D’où l’illusion d’une nature composée de « briques » constituantes63, qui suppose traditionnellement une représentation (incorrecte) des atomes comme structures matérielles. C’est pourquoi le matérialisme réductionniste (ou « physicaliste ») est dans l’erreur : il ignore la formation, c’est-à-dire l’activité psychique ou consciente.

Si la réalité est action, activité formative, celle-ci semble devoir supposer une source, un domaine de finalité, c’est-à-dire de sens et de valeurs, qu’elle viendrait actualiser. C’est à travers les résultats de l’embryologie expérimentale que Ruyer éprouve la nécessité d’un tel approfondissement. Emprisonné pendant cinq ans dans le camp Oflag XVII A – où il présente sa conception de l’« esprit métaphysique » –, Ruyer trouve la singulière occasion de confronter ses recherches aux résultats les plus récents de la biologie du développement. Il a en effet « la chance d’avoir comme compagnons de captivité des biologistes éminents : Moyse, Vivien et surtout E. Wolff, qui […] faisait d’admirables exposés sur le développement et la tératologie64 ». Cette science encore naissante à l’époque de Ruyer substitue le modèle de l’épigenèse à celui de la préformation : l’organisme adulte n’est pas déjà formé dans l’œuf, sa structure n’y est pas contenue sous forme miniature, à titre de plan ou de « programme ». Les expériences de l’embryologie montrent que la forme vivante émerge, que sa complexité sur-vient progressivement, par différenciation dynamique65. C’est la notion de mémoire qui en fournit la clef. Pour Ruyer, il n’y a plus aucune contradiction à supposer que le vivant, peu importe son degré de complexité, dispose d’une mémoire et d’un « savoir-faire », que l’œuf « sait » fabriquer l’organisme adulte, puisque la conscience s’étend à tous les domaines capables d’autoformation et d’autoconduction, donc à tous les organismes66. L’embryon apparaît alors comme un remarquable exemple de forme vraie ou conscience primaire. Si donc le développement fait appel à une mémoire génétique, s’il est de nature mnémique, il semble que cette mémoire formative ne puisse être actuellement « stockée » dans l’œuf, à moins qu’il y ait « émergence miraculeuse d’information »67. D’où la nécessité de supposer l’action d’une mémoire virtuelle, qui oriente la morphogenèse :

Les faits confirment le caractère « mnémique » du développement, mais ils interdisent absolument d’interpréter la mémoire organique, à l’œuvre dans le développement, comme présente actuellement dans la structure organique, sous forme de trace ou d’ « engramme » actuel. Le développement est épigénétique… ce qui est tout à fait certain, c’est que l’œuf, cette cellule unique qui construit par elle-même un organisme muni d’un système nerveux et d’un cerveau extraordinairement complexe, ne peut contenir d’avance cette complexité à l’état de trace ou de plan d’architecte.68

Pour comprendre la genèse du vivant, il faut alors passer au-delà, vers une région qui n’est pas actuellement localisable dans l’espace-temps. Tel est le « premier principe » de la philosophie de Ruyer. Pour l’atteindre, il était nécessaire de passer par la découverte des formes vraies pour pallier aux insuffisances du mécanisme, puis par les expériences de l’embryologie pour montrer les limites de l’actualisme. Ce principe s’exprime d’abord négativement : « les dimensions de l’espace-temps ne contiennent pas toute la réalité »69. Elles ne peuvent pas la contenir, du fait de leur incapacité à expliquer les phénomènes d’invention, de sens et de finalité. Mais le principe doit aussi trouver une expression positive : il y a un « au-delà » de la réalité spatio-temporelle, il existe une dimension virtuelle, qui conditionne et oriente la genèse des formes dans l’espace-temps. Telle est l’hypothèse du trans-spatial, qui repose sur les concepts de potentiel et de finalité. C’est avec les découvertes de l’embryologie que ces notions aux résonances fort aristotéliciennes, depuis longtemps abandonnées par la science à l’époque de Ruyer, retrouvent une pertinence. Un potentiel à actualiser, un but à atteindre, un sens à exprimer, un idéal à réaliser : toutes ces activités supposent l’efficacité d’un potentiel trans-spatial. Dans ces notions, le biologiste Etienne Wolff perçoit une solution possible aux impasses du mécanisme en biologie70. Il existe toutefois une contradiction inhérente à l’idée de potentiel, qui semble condamner tout projet finaliste : c’est celle d’une action de l’avenir sur le présent. Celle-ci ne peut être levée qu’en supposant que les potentiels existent dans une mémoire « logée » en dehors du temps lui-même. Intemporelle, cette mémoire doit l’être, puisqu’elle guide et régule la différenciation des formes dans le temps : comme l’écriture selon Blanchot, l’invention des formes se fait « hors temps dans le temps »71. Pour nous en convaincre, Ruyer propose une expérience de pensée :

Rien n’empêche de supposer qu’une espèce en voie d’extinction ne soit plus représentée dans notre monde, à un moment donné, que par un œuf unique fécondé. Où est alors la structure adulte que cet œuf est capable de construire ? Elle n’est pas dans l’espace. Est-elle dans la zone du « futur » du schéma-temps d’après Minkowski ? Non car si un accident tue l’œuf avant son développement, cette structure adulte n’y figurera pas… Et pourtant, cette structure adulte était bien rattachée potentiellement à l’œuf avant cet accident, comme thème de construction prêt à entrer en action. Il faut donc que ce thème potentiel ait son être dans une sorte de « dimension » non géométrique, indispensable d’ailleurs pour « loger » non seulement les thèmes biologiques, mais tout ce qui y ressemble, tous les thèmes et les potentiels de toutes les structures unitaires ayant un type, une consistance, capables de se reconstituer à travers le temps.72

Un étrange platonisme, « inattendu et involontaire »73, semble alors s’imposer  : « platonisme expérimental »74. Mais plutôt que d’Idées, Ruyer parlera de thèmes. Les potentiels sont de nature thématique. Des thèmesintemporelsguident l’invention des formes vivantes, comme ils guident l’effort du musicien ; ces thèmes sont mnémiques, car les agents qui les actualisent – embryon, amibe, atome ou musicien –, « savent » ou anticipent l’orientation de leur activité, comme s’ils en évoquaient le souvenir75. Le caractère à la fois répétitif et créateur de la mémoire organique en est un exemple évident ; l’invention de l’artiste, du peintre qui pressent l’allure du tableau fini sans pouvoir la connaître à l’avance illustre également l’efficacité paradoxale du thématisme. Il ne s’agit pas de modèles ou d’archétypes dont les réalités sensibles seraient de simples copies. Les thèmes ne sont pas les « formes » unes et parfaites auxquelles prétendent les individus du monde visible ; ils sont potentiels de formation ou d’individuation76. Ruyer retrouve ainsi la doctrine platonicienne de la réminiscence77 : la formation est bien souvenir, mais ce souvenir est moins le retour à l’Idée que l’actualisation d’un thème potentiel. Peut-être est-ce moins à Platon qu’à Proust qu’il faudrait se référer : Idées proustiennes, les thèmes sont « réels sans être actuels, idéaux sans être abstraits »78. Ils n’existent pas en dehors de leur actualisation concrète ; une actualisation qui est moins l’imitation d’une idée qu’une improvisation variable, que la recherche inconsciente d’un but, d’une norme ou d’un sens que le thème suggère sans l’expliciter. Le thème nourrit, « hante », « possède » ses actualisations particulières : il est thème de variation. Tel est le néo-finalisme ruyérien. Aussi le thématisme est-il soumis aux contraintes et aux contingences produites par les lois matérielles émergentes. C’est d’ailleurs ce qui explique que la création artistique et la genèse des formes vivantes soient de véritables efforts, qu’ils ne se déroulent pas « comme du papier à musique »79 : l’actualisation hésite, dévie, parfois échoue (d’où le lien si fort qui unit l’embryologie et la tératologie). La forme s’esquisse, s’ébauche, se fait suivant une orientation qui ne se donne pas comme plan ou représentation déterminée. L’individu n’est pas conformité à un modèle-image, il est variation continue sur un thème. La métaphore musicale semble alors pleinement appropriée : une variation consiste à modifier un matériau thématique reconnaissable à certaines qualités mélodiques, harmoniques et rythmiques qui délimitent un champ de variabilité. Le thème a tout au plus un rôle régulateur dans l’actualisation : il en assure l’unité formelle en lui fournissant une règle ou un type toujours implicite. Ruyer donne ainsi sa vérité philosophique à l’idée de Uexküll : « tout organisme est une mélodie qui se chante elle-même »80.

C’est ainsi que l’on se représente volontiers l’Absolu, dont nous parlent les métaphysiciens, comme une région vraiment un peu désertique. Or, en fait, le métaphysique fait corps avec le physique. Le plan du physique, de l’actuel, du visible, du passager ne saurait constituer le tout de la réalité… Tout être vivant, dans la succession de toutes ses formes, passe par des phases embryonnaires. Comment comprendre ce développement si l’actuel épuise tout le réel ? Qu’est-ce qui assure l’ordre du développement ? Le physique, le visible actuel n’est-il pas ici le pur passage d’un réel qui le déborde ?… Le musicien, inspiré, écoute en lui un thème mélodique. D’où viennent, où se forment ces idées et ces inspirations ? Toute la réalité de la mélodie s’épuiserait-elle donc instant après instant ? Alors, d’où vient son unité expressive ? Prétendre nier le sur-actuel, c’est-à-dire le métaphysique, c’est s’aveugler et se mutiler volontairement.81

Source métaphysique du thématisme, la région du trans-spatial n’est pas un arrière-monde qui viendrait doubler la réalité sensible. Trans-versale au temps et à l’espace, cette mémoire virtuelle nous traverse et nous imprègne : nous y participons. Autre variation ruyérienne sur une notion platonicienne, celle de participation (methexis): les thèmes ne sont pas observables, ils sont participables. Par l’invention, les formes vraies participent aux thèmes trans-spatiaux82. La filiation leibnizienne de Ruyer, la description des formes ont pu laisser croire qu’il s’agissait de monades, d’entités closes, sans portes ni fenêtres ; or le trans-spatial permet à Ruyer de ménager une ouverture nécessaire aux formes absolues, condition de leur inventivité dans le monde. Au plus près du trans-spatial, nous trouvons les agents actualisateurs que sont les formes vraies. Elles y puisent les règles, normes, sens et valeurs de leur activité83. Les formes participent aux thèmes, ou sont « participées », possédées par eux : l’idée nous hante, nous saisit, nous ravit, nous vit (« cette coïncidence va te vivre »84, disait Valéry). Ce qui pose la question du mode de causalité propre à cette dimension virtuelle : comment, à quelle occasion les thèmes trans-spatiaux sont-ils actualisés dans le monde sensible, s’ils n’en font pas partie au même titre que les individus actualisateurs ? Il s’agit alors d’élucider le type de causalité mobilisé par les formes vraies lorsqu’elles font « appel » au thématisme. L’idée générale en est la suivante. Inspiré ici encore par les découvertes de l’embryologie, Ruyer distingue la causalité mécanique (ou ascendante) de ce qu’il nomme la causalité sémiotique (ou descendante)85. La première renvoie au fonctionnement des structures partes extra partes, qui concernent seulement les foules statistiques que sont les objets matériels, et dont Ruyer n’a cessé de limiter les capacités explicatives depuis l’Esquisse ; la seconde renvoie notamment à la causalité biologique telle qu’elle prend place dans l’épigenèse ou dans les comportements instinctifs. Mais Ruyer en décèle l’efficacité dans l’activité de toute forme vraie :

[…] selon les faits d’embryogenèse et aussi selon les expériences de la microphysique, le principe même de causalité, au sens classique, est faux. Il n’y a pas de causalité déterministe, sauf dans les foules d’individualités. Dans toutes les individualités prises en elles-mêmes, biologiques, microphysiques et chimiques, la causalité est en fait la manifestation, induite par stimulus, d’un potentiel mnémique ou typique. Elle est indiscernable de la finalité.86

L’actualisation d’un potentiel thématique ne procède pas mécaniquement, comme une lampe à interrupteur ou le mouvement des boules sur une table de billard. Le thématisme n’est pas causé par des objets extérieurs, il est appelé, déclenché ou évoqué par des stimuli-signaux87. Dans le contexte de l’embryogenèse, le rôle de ces stimuli est assumé par des substances chimiques (dites « morphogènes ») : celles-ci induisent le développement de l’organisme sans le déterminer de manière linéaire et univoque. Cette idée limite les capacités explicatives de l’ADN comme code génétique88. Les gènes ne causent pas directement le développement de l’organisme, qui dès lors en serait un simple effet ; ils agissent comme inducteurs ou évocateurs pour la participation ou l’actualisation d’une mémoire organique. Il faut ici bien distinguer deux types d’information : l’observation et la participation. L’ADN, en tant que code ou ensemble d’informations matériellement stockées dans le génome, est empiriquement observable ; mais les thèmes mnémiques qui informent la genèse des êtres vivants sont seulement participables. Les gènes sont des « mémentos chimiques89 », occasions de souvenir et de création. C’est par la confusion positiviste des observables et des participables que nous concevons le développement comme directement causé par les gènes. La mémoire formative n’est pas un stock d’informations actuelles, une vulgaire base de données, mais une source de différenciation virtuelle. De nombreux biologistes remettent aujourd’hui en question la notion de programme90: d’où la profonde actualité de la conception ruyérienne, qu’on a pu qualifier de « néo-matérialisme contemporain »91. Ruyer montre que ce raisonnement s’étend naturellement à l’éthologie des instincts animaux92. Un animal est dit agir par instinct lorsqu’il offre une réponse complexe à un stimulus qui agit, non pas comme cause directe, mais comme évocateur pour la libération d’un thème mnémique. La migration des oies sauvages n’a pas fait l’objet d’un apprentissage, elle n’est pas l’activation d’une information actuellement stockée dans le cerveau des oies. C’est ainsi que nous cédons à l’illusion qui consiste à accorder une intention à l’animal : l’instinct n’est pas un objet pour la conscience de l’animal, comme une tâche qu’il se représenterait ; il est l’actualisation inconsciente d’une mémoire virtuelle ou surindividuelle. Ce qui explique la continuité entre les instincts de formation chez l’embryon et les instincts psychologiques chez l’adulte – continuité proprement psychobiologique :

[…] la situation actuelle de l’organisme en développement joue le rôle d’une constellation d’appel pour des thèmes mnémiques qui s’emparent d’une aire embryonnaire et passent dans le temps en modifiant sa structure. L’instinct, où l’on ne découvre pas de vraies causes, mais seulement des stimuli-signaux, où l’animal, d’une manière apparemment contradictoire, doit prendre l’initiative d’une action dont le thème pourtant prend possession de sa conscience, manifeste de même l’unité de la psychobiologie, et permet de comprendre comment la structure d’un domaine organique dépend d’instincts formatifs et de thèmes trans-spatiaux.93

La causalité sémiotique est donc synonyme de participation, évoquée par un stimulus observable, à un thème trans-spatial. Le comportement des entités microphysiques manifeste également cette intrication précaire de l’observable et du participable : l’observation d’une entité quantique agit comme actualisation, faisant s’« effondrer » une onde virtuelle qui consiste en un ensemble d’états superposés ou de potentiels trans-spatiaux. A la manière du musicien improvisateur qui n’est jamais totalement libre – son champ de possibilité étant circonscrit par sa mémoire, ses techniques, son vocabulaire –, l’invention des formes absolues est régulée par une mémoire virtuelle. Le musicien doit également assumer une certaine contingence et extériorité, celles de son instrument, du temps et du lieu où se déroule sa performance ; de même, l’invention des formes requiert une évocation extérieure, telle que les structures observables et leurs lois émergentes ont un certain rôle à jouer dans la morphogenèse. Ruyer généralise ainsi le thématisme au-delà du vivant : toute forme vraie, tout domaine de sens, de valeur et d’activité, qu’il s’agisse d’un projet humain94, de l’activité d’un atome ou de la naissance d’un organisme, est un processus d’actualisation de thèmes potentiels. Le vitalisme ruyérien peut alors pleinement s’affirmer. La distinction entre l’organique et l’inorganique est rendue caduque, Ruyer lui ayant substitué celle qui oppose les foules statistiques aux individualités vraies. La mémoire formative dont il s’agit ici traverse virtuellement l’univers tout entier, analogue à un inconscient ontologique, source de l’activité des consciences primaires ou formes vraies. Ruyer éclaire ainsi une continuité essentielle entre le physique, le vital et le conscient : il y a des « lignes d’individualité »95, des fibres qui lient la totalité des formes vraies à travers le temps et l’espace, constituant, à la limite, un « univers fibreux ». Il s’agit pour Ruyer d’élaborer :

un évolutionnisme généralisé, une théorie généralisée de la « descendance avec modification », dans laquelle l’homme est en continuité temporelle, non seulement avec un ancêtre animal, mais avec un unicellulaire, un virus, une molécule, dans laquelle tous les êtres peuvent être considérés, sur le plan de l’espace-temps, comme les avatars d’un être primordial commun […].96

En découle une première compréhension du Tout selon Ruyer , comme ensemble des individualités vraies prises dans leur coexistence et continuité universelles. Ruyer restitue une vision unifiée du cosmos à partir des résultats éclatés des sciences particulières : un « Tout » à partir de « tout ». Mais ce Tout, s’il reste purement actuel, s’il demeure séparé de la région trans-spatiale qui l’informe et à laquelle il participe, ne pourra épuiser le Tout du réel. Dans son discours de 1941, Ruyer résume sa conception de manière fort poétique ; peut-être pourrons-nous désormais en percevoir toutes les résonances et implications :

Le sens du Tout, qui caractérise l’esprit métaphysique, doit donc être pris au sens fort. Il s’agit pour le métaphysicien du Tout du Réel, et non seulement du Tout de l’actuel. Il existe une région que désigne la raison, qu’elle n’atteint pas, mais où l’on ne peut, selon le mot de Goethe, laisser régner la déraison. Et cette région n’est pas lointaine et nébuleuse, elle est tout près de nous, elle est en nous, elle nous baigne. Notre conscience n’en émerge un moment, par l’invention, que pour s’y replonger, par la mémoire. Nous la touchons par le rêve, par la musique, par les instincts qui nous dirigent, par les limites mêmes de notre « moi » […].97

La méthode de Ruyer : mythe, science et métaphysique

C’est un étrange décor, une curieuse topologie que déploie la métaphysique de Ruyer : un « endroit » actuel et mécanique, un « envers » actif et formatif, un « travers » virtuel et participable. Structures, formes, thèmes ; foules, individus, mémoire ; fonctionnement, formation, participation. Il semble alors possible de résumer le néo-finalisme ruyérien en une formule générale : « [un agent]… travaille à réaliser [un idéal] »98. Ce schéma est généralisable à l’ensemble des domaines d’activité étudiés par Ruyer. Ce qui pose naturellement une question d’ordre méthodologique : de quel droit opérer une telle généralisation ? En son sens le plus général, la méthode de Ruyer consiste à chercher des isomorphismes. Cette « méthode fondamentale et essentiellement scientifique », qui « n’a cessé de faire ses preuves dans toutes les sciences, en mathématiques… comme en physique ou en biologie »99, Ruyer l’a appliquée fidèlement et de plus en plus radicalement depuis son premier ouvrage :

La règle d’or est celle-ci. Lorsque deux ordres de phénomènes, soigneusement observés et décrits, ont une allure commune, il faut, sans se laisser impressionner par les classifications en vigueur ou par les hiérarchies a priori, essayer de voir s’ils n’ont pas une nature commune. Le procédé des « modèles mécaniques » n’est qu’une application partielle et trop étroite de cette méthode générale ; pourtant, même aujourd’hui, le procédé est encore fécond ; l’étude des automatismes et des machines à information a jeté de vives lumières sur la physiologie du système nerveux et des appareils sensoriels.100

Un isomorphisme n’est pas une simple ressemblance extérieure, mais une analogie propre au mode d’opération de deux phénomènes ou régimes de phénomènes. Gilbert Simondon, philosophe dont l’œuvre est proche de celle de Ruyer à plusieurs égards, parlera d’analogie opératoire plutôt que d’analogie structurale : celle-ci est la comparaison abstraite de rapports statiques fondée sur une simple ressemblance extérieure, sur un « rapport d’identité » ; celle-là est la mise en évidence de l’identité dynamique – de l’isomorphisme – entre deux opérations, d’une « identité de rapports », indépendamment de toute particularité observable101. Un arc ressemble extérieurement à un croissant de lune (analogie structurale), mais il agit ou opère intrinsèquement comme un ressort (analogie opératoire). Au lieu d’opérations, Ruyer parlera de liaisons ; mais il s’agit toujours de penser les êtres à partir de la logique interne qui les déploie. Chez Ruyer (et Simondon), la recherche d’isomorphismes a donc une valeur à la fois méthodologique et ontologique. Elle renvoie à la critique ruyérienne du « tout observable », c’est-à-dire à sa critique du positivisme. Une telle méthode a donc une vocation génétique : refusant de s’en tenir au donné observable, elle cherche à en comprendre la genèse interne en remontant à ses conditions de possibilité réelles. Dans un vocabulaire scolastique, nous dirions que Ruyer cherche une définition réelle des choses, et non une définition nominale. Ce qui exige de descendre en-deçà des ressemblances sensibles : de descendre sous les structures visibles, vers le principe de leur genèse. Chez Ruyer, ce principe est le trans-spatial dans son actualisation par les formes. Or ce principe demeure inaccessible si l’on reste exclusivement attaché au schème mécaniste classique ; aussi n’est-il pas connaissable en soi, mais seulement indirectement, par voie d’isomorphisme.

D’où le rôle essentiellement critique de la méthode de Ruyer : le mécanisme sur lequel repose la science positive n’est pas faux, il est simplement abstrait. Or « l’esprit philosophique véritable a presque toujours horreur de l’abstraction. »102 Le mécanisme n’a pas la capacité explicative que la science positive lui accorde explicitement ou implicitement ; c’est donc lui qui doit être expliqué. Il s’agit, non pas de réfuter la causalité mécaniste, mais d’en circonscrire l’usage et d’en définir les limites. Ces limites, la science les rencontre inévitablement lorsqu’elle s’essaye à expliquer les processus de formation103. Les structures observées par la science ne se sont pas auto-engendrées. Elles dépendent de principes génétiques dont l’activité échappe par nature à l’observation scientifique. D’où l’utilité de la philosophie pour le scientifique, qui y trouve la source d’une critique et d’un perfectionnement éventuels. Le développement des moyens d’observation fait que les fonctionnements décrits par la science imitent toujours mieux les formes en auto-formation, suivant un progrès à l’allure asymptotique104. Mais la différence entre l’endroit structural et l’envers génétique subsiste, comme différence entre le réel et l’objectif. Pour problématiser la genèse, la science doit alors laisser place à la philosophie. C’est ce qui détermine leur jonction, leurs frontières communes, justifiant l’idée ruyérienne d’une « philosophie unie à la science »105. C’est d’ailleurs pourquoi Ruyer décrit les sciences primaires, qui s’intéressent directement aux phénomènes génétiques, comme « une sorte de mixte de science et de philosophie »106. Dans ses Rêves d’un visionnaire, Kant écrivait que « la métaphysique est une science des limites de la raison humaine »107. Il semble alors que malgré son anti-idéalisme, Ruyer soit resté fidèle à un certain esprit critique. Et peut-être l’attitude « hardie » de Ruyer n’est-elle pas totalement contingente. Loin d’être une simple « impatience métaphysique »108, la radicalité des hypothèses semble avoir une valeur méthodologique : pousser la connaissance vers ses limites, pour les éclairer d’un jour nouveau.

Extrême cohérence du projet ruyérien : c’est dès l’Esquisse de 1930 que nous voyons la recherche d’isomorphismes en action. Il s’agissait alors de déceler une analogie entre la structure de l’espace-temps de Minkowski et la conscience humaine. Mais il faut se montrer sensible « aux manques d’isomorphisme constatés »109, si bien que la microphysique et l’embryologie mènent Ruyer à un renversement radical de ses positions antérieures. Observés de l’extérieur, la conscience, l’atome, l’invention, la vie sont des domaines distincts mais isomorphes110. Leurs activités internes sont analogues : formation par actualisation d’un potentiel trans-spatial. La métaphysique ne construit pas arbitrairement dans le ciel des Idées : elle retourne les fonctionnements mécaniques observables pour y déceler les activités de formation. Or ces activités montrent d’autres modes de liaison, si bien qu’il faut se demander si ces modes ne sont pas partagés par d’autres ordres de phénomènes. La métaphysique de Ruyer consiste d’abord à « transformer les observations scientifiques en une connaissance des liaisons », puis à étudier les rapports entre les formes et les potentiels qu’elles actualisent111. D’où la continuité tracée par Ruyer entre les sciences particulières, et à partir de laquelle il décrit celle du cosmos dans sa totalité visible et invisible. Il semblait alors nécessaire de suivre l’itinéraire ruyérien, de « reconstruire » son système, d’en montrer concrètement (mais fort généralement) les opérations principales, pour arriver à la question de ses rapports avec les sciences. Il fallait montrer cette métaphysique en acte, suivre sa formation. Par rapport aux sciences, l’activité métaphysique est de nature mythologique :

La modestie de la science, qui en reste aux reconstitutions de proche en proche, la rend supérieure à la philosophie, trop ambitieuse. Mais, paradoxalement, la modestie même de la science… oblige à toucher du doigt une sorte de philosophie minima sous la forme d’un mythe minimum. Faute de ce mythe, l’unité des phénomènes macroscopiques dont le « de proche en proche » ne repose pas sur une conscience ou sur un « pour soi », cette unité est sans support.112

Fabrice Colonna a admirablement décrit cette fonction mythologique de la métaphysique chez Ruyer113. Le mythe confère une unité formelle aux résultats des sciences particulières. Implicite ou explicite, le recours au mythe est nécessaire pour assurer une cohérence globale aux propositions scientifiques. C’est le cas même et surtout pour les sciences positives, dont le mécanisme est le mythe minimum, et ce, peu importe le degré d’élaboration de leurs méthodes. C’est ainsi que « ceux qui se posent en négateurs de la métaphysique acceptent en fait, implicitement, la plus mauvaise de toutes, celle, disait Poincaré, qui croit comprendre le monde en en faisant une immense partie de billard. »114 Le positivisme espère parfois se subordonner voire absorber la philosophie dans les avancées de la science. Mais ce que montre Ruyer, c’est que science et philosophie sont inséparables, qu’elles s’impliquent mutuellement. La frontière philosophique recule sans s’écrouler. Tant il est vrai que toute science est naturellement dogmatique, et que le dogmatisme de Ruyer tend à rendre possible le dogmatisme des sciences mécanistes115 (car il consiste à en chercher les principes de formation). Ruyer renoue ainsi avec un effort millénaire de la philosophie : loin de toute « philosophie des sciences », il s’agit de travailler à l’unité d’une « Philosophie-Science indivise »116. Cette unité n’est possible que par l’autonomie et la communication de deux pôles qui agissent face à face, dos à dos. La science est connaissance du relatif comme structure objective, tandis que la métaphysique est appréhension et définition de l’absolu comme genèse réelle117. Le rôle de la philosophie est alors double : éclairer le mythe en tant que mythe, c’est-à-dire métaphysique implicite ou postulat dogmatique sur la nature de l’être en général (rôle critique) ; proposer une métaphysique adéquate aux résultats des sciences les plus actuelles (rôle spéculatif ou mythologique) :

Mythologie pour mythologie, on peut préférer rejeter le postulat que tout réel est synonyme d’« observable »… dans l’espace, en adoptant le postulat que l’« observable » est conjugué avec un domaine « participable » de thèmes et de sens.118

Par cette Philosophie-Science, Ruyer se propose de « « rendre justice à l’Univers » visible et invisible »119. Aussi jamais ne prétend-il « résoudre » le mystère de la formation des formes (d’où la teneur théologique de sa pensée). C’est ce qui, à nouveau, place la philosophie à une distance critique des prétentions explicatives des sciences. Le mythe est une nécessité humaine et irréductible devant l’énigme de la nature. Le trans-spatial est un domaine « mystérieux » et « incalculable »120 ; son origine demeure en elle-même inexplicable. Ruyer suggère alors qu’au-delà même de la méthode des isomorphismes qui relie les résultats des sciences particulières, cette « joie proustienne des rapprochements », il y a une « joie du métaphysicien », joie mystique, étonnement philosophique devant le « Tout » de l’inépuisable fécondité du réel :

Ce n’est plus la joie de connaître mais celle de toucher à un réel qui dépasse la connaissance et qui pourtant se laisse surprendre et voir avec une sorte d’évidence. Il y a un élément de mysticisme religieux dans l’esprit métaphysique. Pour le philosophe qui le possède, le monde est magique. Il marche dans un monde enchanté. En tout être, il sent affleurer ce qui lui donne sa profondeur. N’importe quelle plante ou animal lui paraît, non pas un objet banalisé par l’habitude, platement borné à son apparence, mais l’incarnation d’une idée et le produit d’un effort continu qui le rattache sans coupure à la source de toute chose.121

Note sur l’auteur

Habib Bardi est licencié de philosophie à l’Université Paris X Nanterre. Ses travaux de recherche portent sur l’opposition des notions de genèse et de structure dans la philosophie moderne (notamment après Kant). Plus précisément, il s’agit de déterminer avec précision la manière dont cette problématique a informé les méthodes de la philosophie « post-structuraliste » française du XXème siècle (Deleuze, Derrida, Foucault), aussi bien du point de vue de sa compréhension de l’histoire de la philosophie que de l’élaboration de ses propres propositions théoriques.

Bibliographie

BERGER Benjamin, « Comment Ruyer est-il entré dans la  » grande voie naturelle de la philosophie  » ? », in Philosophia Scientiæ, 21-2 | 2017.

BLANCHOT, Maurice, Le pas au-delà, Gallimard, 1973.

COLONNA Fabrice, Ruyer, Les Belles Lettres, 2007.

COLONNA, Fabrice et LOUIS, Fabrice (éds.), Raymond Ruyer : dialogues et confrontations. Philosophia Scientiae, 21-2, 2017.

DURING Élie, « Survoler le temps : l’espace-temps comme schème, mythe et thème », Revue de métaphysique et de morale, no. 107, 2020.

FRUTEAU DE LACLOS Frédéric, « Comment Ruyer est devenu Ruyer. Entre épistémologie et psycho-biologie », Philosophia Scientiæ, 21-2, 2017.

KANT Emmanuel, Anthropologie, Librairie Ladrange, 1863.

MERLEAU-PONTY Maurice, La Nature. Notes. Cours de Collège de France (1956-1960), Seuil, 1995.

MERLEAU-PONTY Maurice, La Structure du comportement, PUF, 1967.

NIETZSCHE Friedrich, Éléments pour la généalogie de la morale, Librairie générale française, 2000.

RUYER Raymond, Esquisse d’une philosophie de la structure, Paris, Alcan, 1930.

RUYER Raymond, Éléments de psycho-biologie, PUF, 1946.

RUYER Raymond, « Le versant réel du fonctionnement », in Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1935.

RUYER Raymond, La Gnose de Princeton, Hachette, 1977.

RUYER Raymond, Néo-finalisme, Alcan, 1952.

RUYER Raymond, « Les conceptions nouvelles de l’instinct », in Les Temps modernes, n° 86, 1953.

RUYER Raymond, La Genèse des formes vivantes, Paris, Flammarion, 1958.

RUYER Raymond, La cybernétique et l’origine de l’information, Flammarion, 1968.

RUYER Raymond, « Les rapports de la science et de la philosophie et l’étroitesse de la conscience», in Revue Internationale de Philosophie, 1963.

RUYER Raymond, « L’esprit philosophique », in Revue Philosophique de La France et de l’Étranger, vol. 203, no. 1, 2013.

RUYER Raymond, « Une métaphysique présente-t-elle de l’intérêt ? », in Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, no. 1/2, 1935.

RUYER, Raymond, « Les observables et les participables », in Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, T. 156 (1966).

RUYER Raymond, « Parallélisme et spiritualisme grossier », in Revue philosophique de la France et de l’étranger, no. 1-2, 125, 1938.

RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », in Les Études philosophiques, n°1, 2007.

RUYER Raymond, « Le domaine naturel du trans-spatial », in Bulletin de la Société française de philosophie, 1948.

RUYER Raymond, L’Embryogenèse du monde et le Dieu silencieux, Continents philosophiques, Paris, 2013.

SIMONDON Gilbert, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Millon, 2005.

VAILLANT Bertrand, « Raymond Ruyer, l’impatience métaphysique », La vie des idées, 2021.

VALERY Paul, Tel quel I, Gallimard, 1941.

VEILHAN Alix, « Raymond Ruyer et la cybernétique », in Philosophie 2021/2 (N° 149), Éditions de Minuit.

Table des matières

Le structuralisme pur de l’Esquisse d’une philosophie de la structure (1930) 4

La conception de la conscience dans la première philosophie de Ruyer 6

Le quantum d’action : l’envers du décor 8

L’embryologie et la découverte du trans-spatial : le travers du décor 14

La méthode de Ruyer : mythe, science et métaphysique 21

Note sur l’auteur 26

Bibliographie 26

Notes 28

1 Raymond Ruyer (1902-1987) est un philosophe français. Longtemps méconnu du grand public, admiré par ses pairs (Georges Canguilhem, Maurice Merleau-Ponty, Gilles Deleuze), son œuvre foisonnante fait aujourd’hui l’objet d’une redécouverte en France et aux Etats-Unis.

2 RUYER Raymond, « Le versant réel du fonctionnement », in Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1935, p. 346.

3 RUYER Raymond, « L’esprit philosophique », in Revue Philosophique de La France et de l’Étranger, vol. 203, no. 1, 2013, p. 9. C’est toujours nous qui soulignons.

4 Ibid., p. 10.

5 Ibid.

6 NIETZSCHE Friedrich, Éléments pour la généalogie de la morale, Librairie générale française, 2000, p. 255.

7 RUYER Raymond, « L’esprit philosophique », op. cit., p. 16.

8 DURING Elie, « Survoler le temps : l’espace-temps comme schème, mythe et thème », in Revue de métaphysique et de morale, 2020, p. 348.

9 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », in Les Études philosophiques, n°1, 2007, p. 12.

10 Notre portrait aura nécessairement un caractère schématique, en vertu des limites formelles imposées à ce texte. Pour des reconstructions bien plus exhaustives du luxuriant système ruyérien, voir COLONNA Fabrice, Ruyer, Les Belles Lettres, 2007 et COLONNA, Fabrice et LOUIS, Fabrice (éds.), Raymond Ruyer : dialogues et confrontations. Philosophia Scientiae, 21-2, 2017.

11 RUYER Raymond, « Les rapports de la science et de la philosophie et l’étroitesse de la conscience » in Revue Internationale de Philosophie, 1963, p. 151.

12 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 5.

13 RUYER Raymond, Esquisse d’une philosophie de la structure, Paris, Alcan, 1930, p. 2.

14 FRUTEAU DE LACLOS Frédéric, « Comment Ruyer est devenu Ruyer. Entre épistémologie et psycho-biologie », Philosophia Scientiæ, op cit., p. 39.

15 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 5.

16 Ibid.

17 Ibid., p. 6.

18 RUYER Raymond, Esquisse d’une philosophie de la structure, op. cit., 1930, p. 169.

19 RUYER Raymond, Esquisse d’une philosophie de la structure, op. cit., 1930, p. 9.

20 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 5.

21 Ibid.

22 Ibid., p. 1. Cf. BERGER Benjamin, « Comment Ruyer est-il entré dans la « grande voie naturelle de la philosophie » ? », op. cit., p. 24.

23 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 6.

24 BERGER Benjamin, « Comment Ruyer est-il entré dans la « grande voie naturelle de la philosophie » ? », op. cit., p. 24.

25 Ibid., p. 5.

26 Ibid., p. 5.

27 COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 44.

28 Raymond Ruyer, Néo-finalisme, Alcan, 1952, p. 98.

29 Ibid., p. 107.

30 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 6.

31 FRUTEAU DE LACLOS Frédéric, « Comment Ruyer est devenu Ruyer. Entre épistémologie et psycho-biologie », op. cit., p. 44.

32 BERGER Benjamin, « Comment Ruyer est-il entré dans la  » grande voie naturelle de la philosophie  » ? », op. cit., p. 26.

33 Ibid., p. 107.

34 BERGER Benjamin, « Comment Ruyer est-il entré dans la « grande voie naturelle de la philosophie » ? », op. cit., p. 27.

35 Ibid., p. 26.

36 Ibid.

37 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 6.

38 RUYER Raymond, « Parallélisme et spiritualisme grossier », in Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1938.

39 BERGER Benjamin, « Comment Ruyer est-il entré dans la « grande voie naturelle de la philosophie » ? », op. cit., p. 27.

40 COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 60-69. Sur le vocabulaire de la physique quantique, cf. LEVY-LEBLOND, « Mots & maux de la physique quantique », in Revue Internationale de Philosophie, n° 2/2000, p. 243-265 (cité par Colonna).

41 RUYER Raymond, « Parallélisme et spiritualisme grossier », op. cit., p. 117.

42 RUYER Raymond, « Expériences mentales sur la Mort et la vie », in Revue de Métaphysique et de Morale, 1953, p. 255 (cité par COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 71).

43 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 5.

44 COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 43-44.

45 RUYER Raymond, Paradoxes de la conscience et limites de l’automatisme, Albin Michel, 1966, p. 167 (cité par COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 45)

46 RUYER Raymond, Néo-finalisme, op. cit., p. 87.

47 COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 81.

48 RUYER Raymond, « Une métaphysique présente-t-elle de l’intérêt ? », in Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, T. 119, No. 1/2, 1935, p. 81.

49 Cf. COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 60.

50 RUYER Raymond, « Du vital au psychique », in Valeur philosophique de la psychologie, PUF, 1951 (cité par FRUTEAU DE LACLOS Frédéric, « Comment Ruyer est devenu Ruyer. Entre épistémologie et psycho-biologie », op. cit., p. 46).

51 La distinction est introduite au début des Éléments de psychobiologie, cf.RUYER Raymond, Éléments de psycho-biologie, 1946, PUF, p. 1-4.

52 RUYER Raymond, La Gnose de Princeton, Hachette, 1977, p. 242.

53 BERGER Benjamin, « Comment Ruyer est-il entré dans la « grande voie naturelle de la philosophie » ? », op. cit., p. 24.

54 FRUTEAU DE LACLOS Frédéric, « Comment Ruyer est devenu Ruyer. Entre épistémologie et psycho-biologie », op. cit., p. 42.

55 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 7.

56 COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 73-74.

57 VEILHAN Alix, « Raymond Ruyer et la cybernétique », in Philosophie, n°149, 2021, p. 45.

58 RUYER Raymond, « Le versant réel du fonctionnement », op. cit.

59 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 5.

60 Ibid., p. 7.

61 Voir BERGSON Henri, L’évolution créatrice, Alcan, 1907 ou encore WHITEHEAD Alfred North, Science and the Modern World, 1925.

62 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 7.

63 RUYER Raymond, Néo-finalisme, op. cit., p. 150.

64 Ibid., p. 8.

65 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 7-8.

66 Ibid., p. 6.

67 RUYER Raymond, « Les observables et les participables », in Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, 1966, p. 443. Pour Ruyer, la nécessité est évidente ; elle est liée à l’insuffisance du schème mécaniste pour expliquer l’apparition du nouveau : « Puisque l’état t, dans l’espace, ne contient pas les détails de l’état t’, également dans l’espace, il faut que quelque chose soit survenu transversalement à l’espace. » (cf. RUYER Raymond, « Le domaine naturel du trans-spatial », in Bulletin de la Société française de philosophie, 1948, p. 137).

68 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 7.

69 Ibid.

70 COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 113.

71 BLANCHOT Maurice, Le pas au-delà, Gallimard, 1973, p. 8.

72 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 7.

73 Ibid., p. 9.

74 RUYER Raymond, « Les conceptions nouvelles de l’instinct », in Les Temps modernes, n° 86, 1953, p. 839.

75 RUYER Raymond, « Les observables et les participables », op. cit., p. 424.

76 RUYER Raymond, La Genèse des formes vivantes, Flammarion, 1958, p. 25-26

77 MERLEAU-PONTY Maurice, La Nature. Notes. Cours de Collège de France (1956-1960), Seuil, 1995, p. 204.

78 PROUST Marcel, Le temps retrouvé, Gallimard, 1927.

79 DURING Elie, « Survoler le temps : l’espace-temps comme schème, mythe et thème », op. cit., p. 356.

80 Cité par MERLEAU-PONTY Maurice dans La Structure du comportement, PUF, 1967, p. 172.

81 RUYER Raymond, « L’esprit philosophique », op. cit., p. 17-18.

82 RUYER Raymond, « Les observables et les participables », op. cit.

83 Ibid.

84 VALERY Paul, Tel quel I, Gallimard, 1941, p. 114.

85 RUYER, Raymond, L’Embryogenèse du monde et le Dieu silencieux, Continents philosophiques, 2013, p. 143.

86 Ibid.

87 RUYER Raymond, « Les observables et les participables », op. cit, p. 444.

88 Cf. COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 135-155.

89 Ibid., p. 146

90 Ibid., p. 109.

91 Ibid., p. 253.

92 RUYER Raymond, « Les observables et les participables », op. cit, p. 444.

93 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 9.

94 Nous n’avons pu qu’effleurer indirectement la dimension axiologique de l’œuvre de Ruyer, qui pourtant occupe une place importante dans ses travaux. À ce sujet, voir RUYER Raymond, Philosophie de la valeur, Armand Colin, 1952.

95 Ibid., p. 8.

96 Ibid.

97 RUYER Raymond, « L’esprit philosophique », op. cit., p. 18-19.

98 RUYER Raymond, Néo-finalisme, op. cit., p. 242.

99 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 12.

100 Ibid.

101 SIMONDON Gilbert, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Millon, 2005, p. 108.

102 RUYER Raymond, « L’esprit philosophique », op. cit., p. 8.

103 COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 260-263.

104 Ibid., p. 263. Cette imitation se manifeste aujourd’hui de manière éclatante dans l’engouement pour l’« intelligence » artificielle. La méthode de Ruyer montre les limites et le caractère souvent fétichiste du rapport que la science et la doxa du XXIème siècle ont établi avec les machines intelligentes. A ce sujet, voir VEILHAN Alix, « Raymond Ruyer et la cybernétique », op. cit.

105 RUYER Raymond, « La philosophie unie à la science », Encyclopédie française, 1957.

106 RUYER Raymond, « Les rapports de la science et de la philosophie et l’étroitesse de la conscience », op. cit., p. 154.

107 KANT Emmanuel, Anthropologie, Librairie Ladrange, 1863, p. 429.

108 VAILLANT Bertrand, « Raymond Ruyer, l’impatience métaphysique », La vie des idées, 2021.

109 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 13.

110 Nous avons dû laisser de côté la question de l’anthropomorphisme inhérent à la méthode de Ruyer. Celle-ci a été traitée par BERGER Benjamin, « Comment Ruyer est-il entré dans la « grande voie naturelle de la philosophie » ? », op. cit.

111 RUYER Raymond, Néo-finalisme, op. cit., p. 243.

112 RUYER Raymond, « Les rapports de la science et de la philosophie et l’étroitesse de la conscience », op. cit., p. 151.

113 COLONNA Fabrice, Ruyer, op. cit., p. 245.

114 RUYER Raymond, « L’esprit philosophique », op. cit., p. 18.

115 RUYER Raymond, « Une métaphysique présente-t-elle de l’intérêt ? », op. cit.

116 RUYER Raymond, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit., p. 13.

117 RUYER Raymond, « Une métaphysique présente-t-elle de l’intérêt ? », op. cit.

118 RUYER Raymond, La cybernétique et l’origine de l’information, Flammarion, 1968, p. 232.

119 RUYER Raymond, « L’esprit philosophique », op. cit., p. 15.

120 RUYER Raymond, La cybernétique et l’origine de l’information, op. cit., p. 31.

121 Ibid., p. 19.


CATEGORIES : Meta/ AUTHOR : Administrateur

Comments are closed.