Home » Meta » La matrice des antéformes : une cartographie des formes architecturales en métamorphose — Thomas Richard
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Table des matières
La matrice des antéformes : une cartographie des formes architecturales en métamorphose
I. Remarques générales sur l’esthétique de Maldiney
II. Le style ou forme d’existence de l’expressionnisme supérieur
II.1 L’expressionnisme et sa forme supérieure
L’expressionnisme supérieur de Van Gogh et Gaudí : différer la forme
II.2 L’expressionnisme supérieur : rendre visible la condition dramatique des métamorphoses
Dramatique de la contradiction originaire
Le souci de l’essence de l’œuvre, vouloir de forme et angoisse existentielle
Une création dé-négative de la forme et les deux voies de son activisme
L’appel d’un milieu autre de métamorphose
L’appel d’une œuvre à venir cherchant à s’incarner
III. La matrice des antéformes architecturales : une pathématique des métamorphoses
III.1 Présentation générale de la matrice des antéformes
III.2 L’espace-temps opératif et pathématique de la matrice des antéformes
Le neutre et l’espace sensible
Le médial et l’espace spirituel-culturel
L’archaïque et sa temporalité régressive
Dans son texte, et peut-être encore plus sensiblement dans son travail de schèmes, Thomas Richard cherche une essence de l’expérience architecturale, une abstraction presque mathématique proche de la relation entre la fonction et sa primitive lors du calcul d’une intégrale. Le méta serait cette antéforme, ce surgissement du possible de la forme avant la forme elle-même, rendue réelle seulement par la présence ? Retour à l’expérience primitive de l’habiter à travers les formes architecturales contemporaines et la traversée des pensées de Maldiney.
J’aborderai le radical méta- au travers du thème de la métamorphose en architecture. Mon propos s’étayera sur l’esthétique d’Henri Maldiney dont les analyses concernent la plupart des disciplines des beaux-arts. Celles-ci reposent, entre autres, sur les travaux des historiens de l’art Aloïs Riegl et Wilhelm Worringer. Je rappelle que cette tradition formaliste de la fin du XIXe siècle considère que la forme plaît en dehors de tout contenu : elle est asymbolique. Autonomes et immanentes, les formes peuvent donc être étudiées en elles-mêmes à travers l’espace et le temps. En cela, cette approche demeure voisine des méthodes phénoménologiques en philosophie dès lors que les formalistes s’en tiennent aux phénomènes morphologiques tels qu’ils nous sont donnés. De ce fait, elles s’opposent aux approches historiographiques, comme celles proposées récemment par Jacques Lucan dans son ouvrage consacré à l’état présent de l’architecture1. Partant du même corpus d’œuvres architecturales contemporaines (1985-2015) que l’historien, nous envisagerons donc la métamorphose à l’aune de cette approche formaliste. Aussi, dans une perspective maldinéenne, les formes architecturales en métamorphose concernent l’un des trois principaux styles artistiques identifiés par Maldiney : le style de l’apparition-disparition.
Nous proposons d’introduire brièvement à l’esthétique de Maldiney pour ensuite préciser une variation de ce style en peinture et l’aborder, en suivant, pour l’architecture. Nous exposerons alors, dans un troisième moment, une esquisse de cartographie de productions architecturales emblématiques de cette période qui nous semblent relever de ce style ou, plus précisément, de l’une de ses variations.
Avant de discourir sur le monde comme un objet qui nous fait face – dans une attitude d’objectivation – nous sommes au monde, nous existons en lui et à travers lui dans un rapport de communication symbiotique. En effet, la conscience objective telle que nous l’envisageons communément demeure précédée et articulée à une conscience sensible d’ouverture au monde2. Celle-ci consiste en une capacité pathique de nous altérer, d’advenir avec et par l’espace milieu dans lequel nous sommes immergés3.
Avant de percevoir des objets (des étants), l’homme ressent et, dans le sentir, l’homme ne domine pas ce qui se manifeste en lui, mais il est simplement présent dans l’étonnement du « il y a ». Cela implique une tout autre façon de se rapporter à soi que celui de la conscience et de la connaissance objectives : avant le « je suis », il y a le « j’y suis ». L’homme n’est pas un soi constitué, au contraire, il est décentré de lui-même ; Maldiney dira : il ex-iste hors de lui, hors de toute contenance dans une ouverture au monde auprès de l’altérité des êtres et des choses. Pour préciser ce rapport au monde sensible qui précède la conscience objective, Maldiney cite Erwin Strauss : « Dans le sentir se déploie, pour le vivant, en même temps moi et le monde, dans le sentir le sentant se vit lui et le monde, lui dans le monde, lui avec le monde.’ Telle est la certitude sensible où je me trouve – au double sens d’y être et de m’y découvrir – dans la tension ouvrante et la systole du ici/là »4. Ce en quoi la certitude sensible ignore toute limite négatrice de cette symbiose ; autrement dit toute médiation de la conscience objective.
Ce soi originaire n’est donc pas passif ; il co-naît avec le monde. En effet, le sentir5 n’est pas une passivité, mais une réceptivité active. En étant saisi, l’homme s’apparaît avec le monde en répondant à l’appel des choses, à l’altérité de l’évènement6. Dès lors que l’homme consent à cette altération radicale et constitutive, le sentiment d’exister n’est pas celui d’une intériorité close ni même, dans une veine heideggérienne, celui d’un être ouvrant ses propres possibilités a priori en les découvrant ; il devient ce qui l’altère : « Quelque chose en moi, pis, quelqu’un qui est moi que je ne peux pas inventer m’appelle à ce que je ne suis pas, c’est-à-dire m’appelle à être »7. Le monde appelle l’homme à y être. Il est contraint d’exister à l’avant ou en précession de lui-même dans cette ouverture et cet accueil même du monde que Maldiney nomme présence8. L’homme se sent devenir dès lors que quelque chose lui advient en dehors de toute maîtrise et cela en se livrant à ce qui se donne à lui dans un sentir originaire. S’accomplissant dans ce qu’il n’est pas, il est donc fondamentalement obscur à lui-même. Il est présent à cette absence active qui le met en demeure d’être ; il a à être en devenant ce qui le touche dans l’évènement que constitue son contact avec le monde. Tel est sa tâche fondamentale et le régime proprement existentiel.
Pour Maldiney, l’art permet de recouvrir ce rapport d’implication et d’ouverture sensible-spirituelle au monde : « L’art, au contraire, a toujours tenté de dépasser cette dichotomie [entre sujet et objet], ou plutôt de se situer à un niveau de l’expérience et de l’existence où elle n’est pas encore consommée »9. L’art repose sur des structures spatiales et temporelles plus primitives que les structures verbales10 . Ces structures spatio-temporelles se manifestent dans toute forme en formation « c’est-à-dire en fondation perpétuelle ». Elles s’incarnent dans un rythme qui est la « dimension constitutive de la forme »11 ; celui-ci exclut le contour, la limite de toute forme ou image a priori (nous dirons la forme-image). Si, le plus souvent, les dimensions formelles et imageantes cohabitent dans une œuvre, elles ne doivent pas être confondues. Autrement dit, l’art commence avec la seconde qui n’est pas celle de la représentation (figurative ou figurale/géométrique) : « La spatialité première n’est pas de représentation, mais de présence au monde et de présence du monde »12. C’est cette « impression originaire »13 – ce ressentir dans lequel moi et monde co-naissent – que l’œuvre transforme en son écho spirituel et sa climatique (Stimmung) propre qui « […] n’est celle ni de l’homme ni du monde, mais de leur communauté »14 .
De cette présence au monde découlent différentes manières de se rapporter à celui-ci. Ces façons d’être au monde ou styles d’existence forment autant de styles artistiques anhistoriques. Ainsi, pour le style de l’apparaître absolu et son rythme fermé à cadence binaire, « il n’y a pas d’en deçà de l’apparaître »15. L’abstraction des pyramides égyptiennes en est un exemple. À l’inverse, pour le style du disparaître, « toute chose se manifeste en disparaissant »16 : la réalité interne et invisible prime sur les aspects externes des choses17 ; le réel ne se donne que dans son retrait. Ainsi, la peinture chinoise Montagne et Eau unifie ces deux pôles dans le vide de la brume. Enfin, le style en apparition-disparition est un art du passage dont le Baroque est un éminent représentant. En modulation perpétuelle, les formes y sont « en métamorphose dans l’entre-deux temps »18.
C’est donc cette voie stylistique intermédiaire dans laquelle s’exprime la métamorphose qui va mobiliser notre attention. Plus précisément, nous nous intéresserons à l’expressionnisme supérieur tel que l’envisage Maldiney. Sans nous engager dans une discussion, nous proposerons ici de le considérer comme un style d’existence autonome plutôt que comme l’une des variations du style en apparition-disparition. Dès lors qu’il engage un style de rencontre avec le monde, nous pensons que cet expressionnisme supérieur demeure approprié pour appréhender certaines œuvres contemporaines notamment dans le champ qui nous mobilisera plus avant : l’architecture.
Maldiney se montre critique à l’égard de l’impressionnisme et de l’expressionnisme en peinture qui selon lui ne sortent pas du régime des apparences pour entrer dans celui de l’apparaître, du surgissement de la forme. Ces œuvres n’ont pas réussi « à délivrer le réel des apparences parce qu’en fait elles pactisaient avec elles, qu’elles aient tenté de les sauver, comme l’impressionnisme, ou, comme l’expressionnisme, de le faire avouer »19. Ainsi l’impressionnisme semble inondé par la sensation et demeure incapable de lui donner une forme sinon en la dissolvant dans l’informe20.
L’expressionnisme (dont le cubisme fait partie), par ses attaques ou son ironie, s’entretient d’une présence adverse, il ne se prend aux apparences qu’en s’en prenant à elles. Il introduit le trouble du négatif et superpose figuration et défiguration : « Il faut mettre une image en place pour pouvoir s’en prendre à elle et la faire ‘avouer’ » 21. Ainsi, l’expressionnisme dé-forme une image plus qu’il ne fait naître une forme en voie d’elle-même. Il a donc un caractère intentionnel dès lors qu’il se donne un objet vers lequel la forme se dirige a priori.
Néanmoins, Maldiney évoquera un expressionnisme supérieur qui n’exclut pas la possibilité de chefs-d’œuvre comme il l’indique à propos du tableau Les Mangeurs de pomme de terre de Vincent Van Gogh22. À cette figure éminente de la peinture, on peut également ajouter Pierre Tal Coat et les architectes Antoni Gaudí et A. F. Lisboa Antonio Francisco Lisboa (dit Aleijadinho). La constitution paroxystique23 de ces artistes fait le fond de leur rapport au monde.
Tout d’abord, cet expressionnisme supérieur n’est pas, comme dans l’expressionnisme, la projection dans l’œuvre du moi du concepteur (de ce qu’il est) ou d’une pulsion (qui ne se peut pas elle-même), mais il appelle à une transcendance : au dépassement du moi vers l’ipséité, un soi qui n’est pas encore. Et, il ne s’agit pas ici de « se dépasser vers un autre, mais se dépasser vers la découverte de soi, vers soi en tant que mise à découvert, en tant que dévoilé intégralement » 24. Cette transcendance n’existe qu’en altérité, dans la rencontre ou co-naissance de soi et du monde : elle outrepasse nos possibilités propres.
En outre, cet expressionnisme supérieur montre la dramatique d’une perte de contact avec le monde indiquant un manque d’appui et de lien25 avec lui. Maldiney précise alors : « […] il n’y a drame que si le contact n’est pas tout à fait rompu, que si l’homme se trouve, pour ainsi dire, écartelé entre lui-même et son monde… qu’il tente de retenir. […] Et là où la crise de la proximité atteint son paroxysme, elle peut encore s’exprimer, comme elle fait par exemple dans les formes supérieures de l’expressionnisme[…] »26.
Avant de préciser la spécificité de ce style, nous proposons d’y entrer en présentant succinctement les analyses de Maldiney sur ce sujet. Nous commencerons par celles dédiées aux œuvres de Van Gogh et de Gaudí et évoquerons, ensuite, les œuvres de Tal Coat dans lesquelles la tonalité héroïque propre à la climatique de ce style semble s’y exprimer de manière plus détachée et ainsi se rapprocher du style en disparition27.
Selon Maldiney, l’expressionnisme supérieur se montre dans ses formations par un contraste porté à l’extrême entre violence et extase, mais aussi plusieurs mouvements caractéristiques : « un arrachement aux formes qu’il se donne à traverser […] en ménageant leur site »28, une dialectique entre adhésivité (ou viscosité) et explosivité, des formes en formation lente opérant par cheminements locaux.
Pour le philosophe, les œuvres de Gaudí se montrent sous deux aspects contradictoires dont le second accomplit le destin du premier en l’annulant : « […] En premier lieu, chacune des formes que l’œuvre intègre est adhérente à soi, elle est tout insistance. En second et dernier lieu, la forme unique qui les enveloppe toutes est tout existence : elle existe par arrachement. L’adhésion à soi de chaque forme est celle d’une forme ondulante attachée aux accidents de son mouvement propre, à la pesanteur du matériau »29.
La peinture de Van Gogh est tout autant significative : « La menace de la perte s’exprime avec la violence avec laquelle il tente, dans sa peinture, de forcer l’ouverture, de forcer le monde à être. […] Mais il doit mettre en mouvement le monde ainsi menacé d’engluement »30. Dans ses œuvres (comme dans les architectures d’Antonio Gaudí), les centres d’adhésions contiguës sont toujours en expansion ; le mouvement est freiné, retardé. Cependant, il n’y a pas de blocage, car nous sommes perpétuellement obligés de quitter les insistances de ces ondulations et torsions qui ne se ferment pas sur elles-mêmes. D’autre part, nous ne sommes pas dans la composition d’un assemblage, mais bien dans la résonance des couleurs (ou des formes) entre elles qui restent au service de l’unité rythmique globale de l’œuvre (la verticalité est le seul tenseur de la Sagrada Familia). Si la terre tremble sous nos pas, ce vertige, caractéristique de l’expressionnisme supérieur, ne fait qu’affleurer ; l’unité de l’œuvre demeure assurée par la dispersion d’un éclatement et non d’une explosion.
Une voie apparemment plus apaisée de l’expressionnisme supérieur semble s’incarner avec l’œuvre du peintre Tal Coat. Qu’il soit une variante ou pas de l’apparition-disparition baroque, l’expressionnisme supérieur se présente ici comme une « clairière de l’ouvert »31.
Ses œuvres semblent exemplaires d’une communication authentique mêlant symbiose et détachement : « Ce qui ici est en cause est le moment dimensionnel du sentir, la communication, qui, dans le premier cas, implique un enveloppement, mais aussi le besoin contraire de détachement [nous soulignons] : car il ne communique pas vraiment, il n’habite pas librement, celui qui reste dans le sein de la Terre-Mère, enveloppé par la concavité du monde. Il n’y a de communication authentique que par-delà la rupture, moment critique et passage forcé »32. C’est en ce sens que sa peinture n’oublie pas ce « commencement et le malaise de l’origine »33 qui indique la perte originaire et définitive de l’enveloppe matricielle. L’intégration de ce malaise signifie qu’il s’en détache en laissant place à un « jeu de l’abandon au monde »34 ; dès lors sa peinture « se joue entre l’innocence de l’étant et le risque de l’être »35.
L’intégration et l’accentuation de ce malaise singularisent son œuvre par l’incursion d’un ton adverse dans le rythme de ses formes en formations : la peinture de Tal Coat « investit le vide de ses ruptures où tous ces moments critiques se retrouvent à perte où, contraint à l’impossible, il est mis en demeure non pas de s’anéantir ou de persévérer, mais de disparaître et d’apparaître, de se ressourcer dans la faille c’est-à-dire de se ressourcer dans la faille imprévisiblement »36.
Si la tension de l’un (le rythme) et de l’autre (le vertige) n’est pas dissociable, Maldiney évoque cependant un contact en deux temps de l’œuvre. Il commence par un premier regard vertigineux : « Le premier regard semble perdu, provisoirement bloqué dans l’incertitude »37. Et le rythme met fin à cette errance en transformant le vide de cette crise en Ouvert. Ce premier moment vertigineux est analogue au ressenti de l’homme du quotidien amené devant son être : « Il est désétabli de ses assurances habituelles et il perd confiance dans le cours ordinaire de la vie pour avoir découvert l’extraordinaire »38. Maldiney résume ailleurs cette double temporalité : « Le miracle du il y a comporte deux temps, dont le travail de Tal Coat marque la différence [nous soulignons], mais la traverse dans l’instant unique où l’œuvre naît »39.
Nous préciserons ici les déterminants de ce style et notre manière de le concevoir. Il faut rappeler que pour Maldiney, l’homme moderne est de plus en plus conscient, son rapport au monde est donc davantage dominé par une séparation avec son milieu et la fermeture à l’altérité qui s’en suit. Le philosophe ajoutera40 que dans ce contexte l’art ne peut être que protestataire, car d’abord enclin et mobilisé à se départir de cet environnement. Selon lui, il tend alors à signifier négativement (indirectement) une ouverture à l’altérité transformatrice lui permettant d’accéder à l’espace de la présence. La perte de contact avec le monde, que l’expressionnisme supérieur dramatise, semble donc répondre de ce contexte auquel il s’agirait de s’arracher.
Pour le philosophe, une dramatique exprime une contradiction entre l’identité et son changement. Entre la destruction de l’identité et l’instauration d’une autre qu’elle engage se loge la tension vide d’une crise qui est à la fois déchirure et lieu de contact41. Cette contradiction met précisément l’homme en demeure d’être ; il a à (se faire) être. En effet, cet état critique n’est pas celui « d’un être fini mis en demeure d’assurer sa continuité à travers une faille »42 ; il doit abandonner la continuité de son identité et exister à partir de rien : il « est mis en demeure de devenir autre, c’est-à-dire de s’anéantir à dessein d’exister »43. Cette crise des fondements, dont seul l’homme est capable, est dévoilante : « La crise révèle l’existence de ce que ‘par elle le sujet se trouve placé devant une tâche : la suppression de sa forme finie’ [nous soulignons]. Cette mise en demeure est une contrainte impossible. […]. Car jamais l’étant pris en lui-même ne pourrait donner lieu à la contradiction constitutive de l’existence : d’être soi hors de soi sans avoir à sortir »44.
Deux remarques s’imposent. D’une part, la forme finie apparaît, dans l’œuvre, comme la projection inconsciente d’un moi-objectif. D’autre part, c’est le propre de l’existence que d’être constituée de moments critiques discontinus résonnants avec la séparation originaire. Cette crise des fondements s’accompagne d’une perte déstabilisante de la foi en la réalité (l’Urdoxa).
Sur le plan du concevoir, dans la situation critique, le concepteur peut être porté à l’extrême de lui-même, dans l’urgence d’une alternative : ou bien le vertige béant de la crise ou bien l’œuvre. Selon nous, dès lors que les occasions de contact font défaut et avec elles l’impulsion à créer, la crise, déjà engagée de manière latente dans le faire-œuvre, passerait donc au premier plan dans l’expressionnisme supérieur. Or, la crise est paralysante et source d’un vertige ; elle peut susciter une Einfühlung (empathie) négative qui contredit à notre exigence d’autoactivité. Selon nous, l’expressionnisme supérieur insisterait sur cette situation de déchirement interne, voire en ferait l’affect émotivant45 et déterminant en partie l’œuvre. Dès lors, en premier lieu, ce qui se donnerait à sentir ressortirait de l’émergence d’une angoisse existentielle : celle de ne pas faire être l’œuvre et ainsi de ne pas s’advenir autre (dans l’unité intégrante d’une co-naissance avec la situation). Ce malaise prend corps et résonne avec le caractère contradictoire et latent de la situation existentielle. Dans celle-ci, l’assurance de notre identité disparaît : nous ne sommes pas, nous avons à être.
L’expressionnisme supérieur montre ainsi l’urgence de la quête fondamentale dont il subit la pression : le concepteur est habité par un à dire, quelque chose le presse à former. Cette pression, qui « ne dégrade pas la sympathie »46, est analogue au vouloir de la forme théorisé par Aloïs Riegl47. Celui-ci est immanent à la forme : « Qu’y a-t-il au fondement de cet acte [de former] ? Le besoin de l’expression. Non pas le besoin de s’exprimer pour donner et se donner une image de soi, mais le besoin absolu d’exprimer, le besoin de dire, d’articuler l’écart, à la fois vide et requérant, entre le “à dire” et le “vouloir dire” avant de savoir quoi. La formation d’une forme répond à l’appel de ce vide qu’elle ouvre à lui-même »48.
Ce besoin d’expression se projette dans la quête cherchante de l’être de la forme (son essence) ; il se montre ici comme « souci » n’entamant pas le contact avec le monde. Le concepteur est en recherche et en appel d’une « signifiance insignifiable »49. Et, pour Maldiney, la saisie de cette oppression est « à la fois éclatement et éclosion. Un éclatement : le monde dans lequel nous avons habituellement confiance vole en éclats ; une éclosion : percée d’un autre monde »50. Selon nous, cet extremum d’une déchirure entre-deux mondes et deux façons d’exister, l’expressionnisme supérieur y invite et l’exprime spécifiquement.
Aussi, plutôt que le court-circuit d’une autoaffection, l’expressionnisme supérieur montre le souci de l’essence de l’œuvre et l’obligation qui habite son faire pour peu que l’on entende l’appel de la contrainte existentielle d’avoir à être et que l’on souscrive à son régime51. Cette oppression originaire demeure la source de l’état critique qui, ici exposé, nous semble agir comme une provocation, un appel à (se) faire être. À nos yeux, il dépasse donc la scission paroxysmale52 de la crise par l’intégration d’un rythme53.Le rythme n’est pas qu’une disparition de la forme, il donne une nouvelle unité à cette déchirure entre le moi et son monde dont le faire-œuvre est le lieu invisible et l’agent (l’espace potentiel).
Tant que la forme n’existe pas, elle reste bloquée dans le vertige… cet abîme que l’expressionnisme supérieur ne masque pas. Aussi, comme les textes de Ponge, ce style exprime cet « état critique entretenu qui est à la fois la cause et l’effet d’une sorte d’activisme [nous soulignons] »54. Dans les lignes qui suivent la citation précédente, nous proposons de remplacer le mot « texte » par celui de « forme » : « La forme est l’organe et le lieu d’une explication incessante entre l’acte de former et le formé, ou plus exactement entre l’acte de former et ce qui est à former, dont la perpétuelle échappée oblige la forme à une incessante reprise de soi. D’où cette allure de forme se formant, de forme à la poursuite de sa mise en forme, laquelle consiste dans cette poursuite même, ouvrant son propre temps »55.
Aussi, l’expressionnisme supérieur nous semble pouvoir être envisagé comme une méthode de métamorphose. L’usage conjugué de ces deux termes redouble à dessein leur racine commune méta- dont les deux sens principaux sont « au milieu » et « après ». Comme le rappelle Maldiney, le terme de méthode « désigne l’acte de faire chemin (hódos) derrière (metá) à la poursuite de quelqu’un ou de quelque chose »56. Mais ici, il ne s’agit pas d’étant, ce style atteint l’homme de façon existentielle (non objectale) : comme un être cherchant à donner forme au vide du manque à être qu’il est.Quant à la métamorphose, il faut l’entendre à partir de la dimension participative du radical méta- : dans l’expressionnisme supérieur, nous sommes au milieu d’une transformation en cours. Ce redoublement de la racine méta- fait écho à l’exacerbation du besoin de contact de l’expressionnisme supérieur et du désir ardent57 de co-naître qui le hante.
À propos de la peinture de Cézanne, Maldiney évoquait dans son premier ouvrage une création négative qui précède le faire-œuvre. Elle consiste dans « un retrait de toute image […] »59 qui nous semble faire écho au sacrifice de l’identité du concepteur (dont la forme est donc l’incarnation projetée) inaugurant le régime existentiel du faire-œuvre. D’autant que, par ailleurs, Maldiney précise : « l’acte propre du rythme est de former la forme en abolissant le signe »60. Cette abolition ouvre sur une l’unité nouvelle d’une forme en formation donnant à voir un espace-temps de transformation.
Cette création négative ou soustractive nous semble ainsi pouvoir être prolongée plus avant dans le concevoir et devenir sa ressource. Comme pour la peinture de Tal Coat, l’œuvre se nourrit alors d’une « histoire traversée »61. L’expressionnisme supérieur ne part pas d’une ouverture au rien, il nous y conduit. Ainsi, il s’agit moins de se donner un objet auquel s’en prendre (expressionnisme) que de présupposer un refus, un horizon négatif dont il s’agit de se déprendre, de se détacher en l’intégrant et non en l’excluant. Cette résistance à une puissance adverse pressentie (sans image) : c’est la forme finie62, la forme contour.
Selon nous, l’expressionnisme supérieur révèle sa résistance envers deux déterminations refusées dont il donne à voir le retrait : d’une part, la forme finie et, d’autre part, l’inexistence d’une forme qu’il s’agit précisément de faire advenir. Aussi, ce style évolue dans la création de cet espace-temps de l’ipséité, de cet entre-deux (dé)négatif et indéterminé. En effet, la suppression de la forme-image implique, d’une part, que la création puisse s’advenir et exister (comme forme en formation) et, d’autre part, qu’elle ne relève pas d’une forme connue anti-créative. La suppression de la forme (la perte de contenance et de limite du moi) fait apparaître et génère l’horizon de limites négatives dans lesquelles il s’agit de ne pas tomber, de « ne pas y être » : la forme-image (ou sa déformation) prédonnéeet l’absence de forme (l’amorphe).
L’expressionnisme supérieur appelle une œuvre à venir et insiste sur les conditions qui y mènent en montrant les voies qu’il ne faut pas emprunter ; c’est là son sens avertisseur et prophétique. Il agit comme une éthopoïétique en avertissant sur les deux périls qui peuvent obstruer l’existence : la forme-image donnée et l’inexistence. Ainsi, nous proposerons deux voies privilégiant l’un ou l’autre de ces efforts d’arrachement.
La première voie nous semble être celle empruntée par Van Gogh dans laquelle l’appel à être se dirige contre l’horizon d’une forme finie préexistante. Son activisme est celui d’un forçage et d’une provocation du monde à être. Cette intensification ou insistance dans la recherche de contact peut s’approfondir dans celle d’un autre milieu de transformation permettant d’émotiver l’œuvre à venir. Il correspond alors au plus extrême de l’appel, celui de l’être perdu qui « […] en appelle à une présence à partir de laquelle, là-bas s’ouvre un nouvel espace qui lui confère un site »63.
Cet appel est créateur, il ne vise pas une « esthétique du même »64 qui constituerait son être en propre dans un simple écart avec la norme et dans lequel le sujet se projette dans des possibilités déjà-là. Autrement dit, il ne s’agit pas d’avoir lieu, d’être le là (Dasein) du monde, il s’agit d’un appel à inventer un monde qui mette en question sa significativité : « Ce monde, en effet, il l’appelle à venir, à s’ouvrir non à partir d’ici, mais à partir d’un là-bas qui n’existe pas encore et qui seul permet l’appel. L’appel est un mode d’existence pathique, ouverte à ce qui n’est pas – c’est-à-dire à la faille, néant entre deux mondes : celui de l’être perdu et celui auquel l’appel s’origine : l’un qui n’est plus et l’autre qui n’est pas encore [nous soulignons]. Il appelle la faille à devenir l’ouvert d’un monde »65.
La seconde voie nous semble plus proche de celle empruntée par Tal Coat. Dans ce chemin, il s’agit de s’abandonner en l’intégrant à la catastrophe de la crise et l’angoisse de l’absence d’œuvre qu’elle génère. La forme-image n’y est pas le lieu d’un combat par des attaques déformatrices (l’expressionnisme) ou par dissolution lente (l’impressionnisme). Il s’agit d’ « exister son inexistence », d’endurer de ne pas exister (d’avoir à être) plutôt que de tomber dans l’image.
Cette dimension d’inexistence fait écho aux dernières inflexions de la pensée du philosophe qui, précisément, donnent une coloration dramatique, voire tragique, à l’existence : « Elle [l’existence] a des parties non seulement obscures, mais souterraines et actives. C’est pourquoi elle est une dramatique. Elle répond peut-être à une situation tragique. Le fait d’être jeté là – d’être le la de son être jeté – c’est tout de même quelque chose qui constitue à la fois votre inexistence et, du fait même que vous l’appelez ainsi, cela prouve que vous avez entrevu à travers cette inexistence quelque chose que vous n’avez pas réalisé : exister ! »66. Maldiney précise : « C’est là qu’est la dramatique : il n’y a pas l’être, il y a à être »67. Si c’est le possible qui est ici en cause, cela engage que « […] l’existence suppose le fait de souffrir de ne pas exister »68 ; c’est-à-dire d’« […] Y être sans savoir qui ni où »69. Dès lors, pour tout homme, il s’agit d’exister son inexistence sans la masquer. Dans le domaine de l’art, l’image fournit une ligne protectrice qui vient voiler cette obligation d’avoir à être et l’appel à l’Ouvert qu’elle implique. Montrer cette situation d’inexistence c’est indiquer : « que l’homme à l’état naissant n’est pas un étant »70.
Nous aborderons l’expressionnisme supérieur en architecture en proposant un espace pathématique du faire-œuvre ; il constitue une manière de voir certaines productions architecturales contemporaines comme sa manifestation. La matrice des antéformes72 exposée ci-après en constitue la mise en forme synthétique. Elle se présente comme une esquisse de cartographie de l’expressionnisme supérieur en architecture qui, selon nos projections, semble caractériser nombre de productions emblématiques de la période 1985-2015.
Cette matrice indique des milieux de métamorphose dont nous allons proposer quatre directions constituant autant de variations stylistiques de ce style.
Nous l’avons abordé avec l’œuvre de Tal Coat, l’expressionnisme supérieur se spécifie par ce marquage de la différence qui dédouble ou déchire l’espace et le temps autour d’une faille. Ce vide critique est propre au régime existentiel : comme pour tout existant, l’assurance du moi de l’artiste demeure provisoire et masque la situation existentielle : celle de l’entre-deux du soi-même et du soi autre où « […] dans tous ses actes, quel qu’en soit le niveau, l’homme est ici en deux »73.
Les formes de l’expressionnisme supérieur nous montrent ce tremblement de la situation existentielle en le projetant dans leurs formes et leurs espaces : « En réalité les images stables entièrement définies, composées d’aspects thématisés, sont la traduction-trahison de moments essentiellement disparaissants. Seules les formes (au sens authentique) peuvent constituer un style d’apparaître de ces moments disparaissants, et témoigner d’une Présence »74.
Selon nous, l’expressionnisme supérieur donne à voir ce premier moment qui précède et conditionne le faire-œuvre ; il est un appel à faire être et renouveler sa relation au monde. Il nécessite en amont une création négative qui opère une abolition de la forme et du moi. Dans le faire-œuvre, il s’agit toujours de se découvrir et ainsi de re-naître à soi et au monde. Cet écart avec le connu, se retrouvera, cette fois en aval, en cherchant à éviter toute forme définissable selon une certaine direction de sens qui spécifie les variations de ce style que nous proposons. En effet, les formes doivent, à leur tour, éviter tout enfermement dans une identité définissable et, par leur indéfinition, se maintenir en ouverture. Autrement dit, les antéformes montrent la traversée de cette abolition des limites qui précède et conditionne l’ouverture à l’improbable qu’elles appellent et réalisent en ménageant dans leur éthopoïétique comme dans leur œuvre, un lieu pour s’advenir autre.
Ainsi, selon notre approche, l’expressionnisme supérieur se manifeste en architecture par des morphologies ni informes, ni ambivalentes, mais paradoxales : leur contour et leur corporéité semblent simultanément en instance de désintégration et, à l’inverse, être en voie de former un tout individuel autonome anticipant la séparation objective avec le monde. Cette incertitude aux limites évoque « un état critique entretenu »75 : un tremblement anticipant en amont le chaos de la crise et en aval la fermeture d’une forme définitive que, précisément, elles tentent d’éviter en l’indéterminant. À la manière d’un poème – « ce lieu de rencontre entre la chose et le mot »76 –, la forme doit rester un appel de sens : ouverte sur un futur imprévisible qu’il s’agit de maintenir en avant de soi77.
Ce style détermine son faire-œuvre à partir de la proximité absolue de ce moment critique en cours auquel il s’expose selon des directions que la matrice ex-pose78 en spécifiant les différents modes.
L’expressionnisme supérieur montre la recherche d’un espace-temps de ressourcement de la mise en forme, un lieu de détermination en altérité qui, prenant fond sur les possibilités prédonnées, les outrepasse. Autrement dit, il montre la direction de sa quête cherchante et appelle ainsi à une création en pleine altérité totalement imprévisible et inédite. Cette recherche est consécutive d’une mise en crise de la forme qui constitue la dramatique de l’expressionnisme supérieur : l’abolition de la relation moi-monde qui précède le concevoir.
Cette déchirure, qui fait son vertige, montre son souci de l’essence de la forme et elle résorbe cet extremum de la quête dans une forme ouverte indiquant un champ opérationnel privilégié : une direction – spatiale ou temporelle – dans laquelle elle tend à déterminer sa forme en formation. Ce faisant, les formes de l’expressionnisme supérieur montrent l’unité duale qu’elles instaurent avec un milieu déterminé : la présence est l’indivision de l’acte et du lieu79. Chacun de ces pôles, porte une tension interne entre ce qui est à former et l’acte de former lui-même.
Au départ du concevoir de l’expressionnisme supérieur, la situation consécutive de l’abolition du moi et de la forme cherche à se dire. Elle opère une bipolarisation tensive de la situation poïétique : le ressentir critique (acte) et son incarnation (lieu). Ainsi, cet écartèlementdétermine, d’une part, l’axe horizontal ou longitudinal de la matrice comme expression du ressentir critique auquel correspond le retrait de l’horizon d’inexistence et, d’autre part, son axe vertical ou latitudinal qui détermine un lieu possible de son incarnation auquel correspond l’horizon négatif de la forme finie. Cet écartèlement intègre donc un horizon négatif qu’il élabore en le découvrant. Dans l’un, émerge l’angoisse (« souci ») d’un impouvoir rien faire être à partir de rien qui ne puisse émotiver le concevoir : l’expressionnisme supérieur s’angoisse de l’absence d’impulsion ou d’affect sans quoi il ne peut activer son faire et, ce faisant, le menace d’inexistence. Dans l’autre, il s’agit de s’arracher au renoncement aliénant ou anti-créatif (je n’y suis pas) : l’errance et l’abandon sans résistance aux identifications préconstruites et inadéquates à dire un ressenti personnel.
L’axe longitudinal montre deux manières conditionnant le retrait de la forme : la dissolution/indifférenciation de la forme ou celle de la transgression des limites. Il détermine l’éprouvé de l’angoisse d’inexistence dont il s’agit de former le retrait. La suppression de la forme et du moi permet l’entrée dans l’espace-milieu de la conscience sensible qui prend ici les atours de ce ressenti dramatique. Ce sont des variations de cette passion nécessaire du vertige et d’absence d’appui et/ou de consistance que l’expressionnisme supérieur donne à sentir et que nous proposons d’explorer dans cette pathématique. Immergé dans ce premier sentir, cet espace milieu du malaise nous enveloppe et nous traverse80. Aussi, la forme-enveloppe architecturale sera, d’une part, partagée entre un mouvement de dilution et, à l’inverse, d’enrichissement dissipatif qui sont deux manières non marquées de faire disparaître (et ouvrir) la forme. Et, d’autre part, un mouvement marqué de traversée qui sera associé à un percement d’une forme dans sa profondeur ou à un mouvement opposé d’extraction. Tous deux nient également la forme-contour : « Le franchissement d’une limite, à la fois niée et reconnue dans cette transgression même, fait état, par rapport à elle, d’un au-delà et d’un en deçà. »81.
L’axe latitudinal consiste ici dans un abandon et un détachement avec les formations prédonnées par le milieu. Il s’agit de s’arracher aux formes a priori qui constituent l’espace et le temps du concevoir. Cet arrachement est constitutif d’une recherche incessante d’un milieu de transformation, d’un espace-temps permettant de s’advenir autre. Nous proposons de donner quatre orientations à cet espace-temps. D’une part, la polarité de l’espace sensible naturel et celle de l’espace spirituel-culturel d’une communauté ; ils déterminent deux espaces d’inspiration du concevoir. D’autre part, une quête cherchante régressive vers l’origine et une direction progressive appelant l’à-venir ; elles indiquent la temporalité de ce renouvellement. Les architectures du neutre, du médial, de l’archaïsme, du déconstructivisme en sont leur tenant-lieux stylistiques respectifs82. Nous nous concentrerons ici sur l’exposé succinct de ces quatre variations de l’expressionnisme supérieur.
Le neutre s’initie d’un refus de faire être l’œuvre à partir de toute préconstruction culturelle et historique dans laquelle l’accord entre soi et le monde serait déjà donné (un symbole par exemple). En effet, toute harmonie préétablie se détourne du péril d’une création véritable qui doit se faire être à partir de rien, sans référence préalable. L’architecture ne cherche ici ni déterminations internes ni déterminations externes, mais tend à générer sa forme à partir de rien, sans cause ou raison préfabriquées. Précisément, il s’agit d’effacer toute représentation de l’architecture. C’est un espace sans appui et sans limites entre intérieur et extérieur qui est ici recherché. Le neutre spécifie son vertige par sa tentative d’évacuer toute discontinuité spatiale avec son environnement.
Cet espace de ressourcement prend prioritairement fond dans l’éphémère et la spontanéité du monde sensible de la nature. Le moi opère un délestage des apparences et cherche à écarter tout enfermement dans une représentation saisissable en effaçant toute limite. Selon nous, ce moment se traduit parune éthopoïétique de la dissolution qui cherche à désubstantialiserla forme-image comme le moi identitaire de la conscience finie.
Ce mouvement est l’analogue d’une dilution de la limite entre l’intérieur et l’extérieur que mettent en vue les architectures dites neutres comme celles de S.A.N.A.A. Cette quête d’illimitation engage la recherche en altérité d’une rencontre effusive – en coïncidence – avec, prioritairement, le monde sensible (et naturel). Il ne s’agit pas de camoufler une architecture, mais, par une forme singulière, souvent minimale, d’indifférencier l’intérieur et l’extérieur et/ou l’objet architectural et son contexte.
Le médial refuse de générer une forme sans s’appuyer sur une idée, une raison, une cause ou encore une affection qui émotive son faire. Il tend à refuser l’absence, le rien.
L’espace opératif dans lequel il se ressource s’adresse à l’esprit d’une communauté, à sa culture. Il s’appuie donc principalement sur des représentations culturelles et historiques83 qu’il s’emploie à déstabiliser. Ce sont donc des déterminants immatériels (histoire, critique, méthode, etc.) qui viennent le plus souvent générer la formation de l’objet. Aussi, ces architectures ont préférentiellement un caractère immatériel, leur consistance tend à disparaître.
Dans le médial, l’architecture et le contexte culturel semblent fusionner dans une unité duelle ; ils co-naissent autour de la fabrication d’un modèle, d’un archétype comme si ces formations cherchaient à devenir un amer de l’espace, un milieu commun. Il s’agit de Tout signifier ou signifier le Tout dans une seule et même forme. Ce procédé crée également un lien parallèle ou disjoint entre la forme et le pré-texte à partir duquel elle prend son départ. Ici se marque une tendance à la dé-coïncidence avec le monde sensible.
Bien que ces architectures semblent aptes à prendre toutes les formes possibles, les références ne restent que partiellement reconnaissables. Précisément, le style médial consiste dans ce dépassement des formes préétablies sur lesquelles il prend fond. En ce sens, il diffère de la voie du neutre en quête d’une totalité indéterminable84.
En outre, ces éthopoïétiques cherchent moins à rendre saisissable l’œuvre instante que l’ensemble des œuvres formées par leur style. En effet, si les architectures de Rem Koolhaas ou Jean Nouvel accentuent la recherche perpétuelle d’un écart avec des formes culturelles reconnaissables, elles tendent également à embrasser tous les procédés de formations afin, par rectification continuelle de l’expression, de renouveler leur œuvre et de la rendre insaisissable.
Pour autant, il ne s’agit pas de se perdre dans une phénoménalité toujours changeante, mais de réapprendre à l’articuler dans une nouvelle consistance. Si le neutre et le médial tendent, pour le premier, à illimiter la forme ou, pour le second, à la dématérialiser, les poïétiques de l’archaïsme et du déconstructivisme se caractérisent par une indéfinition de la forme, autrement dit à maintenir ses possibles85.
Sans pour autant chercher à faire disparaître la forme, l’archaïsme prend son départ d’un refus de faire être l’œuvre à partir de déterminations formelles internes à l’architecture. Ce style génère ses formes à partir de sources externes venant de l’environnement, de la situation rencontrée qui, hors d’elle, lui préexistent. Néanmoins, il privilégie un retour aux origines et aux fondements de la discipline en deçà de l’épaisseur d’une histoire préconstruite. Cette temporalité régressive est dénotée par l’usage de matériaux bruts ou de formes schématiques primitives (empilements et forme archétypale de la VitraHaus d’Herzog & de Meuron). Si ces formes archétypales renvoient moins à une forme concrète qu’à l’essence originaire d’une forme, pour autant, les valeurs tactiles dominent. En effet, il s’agit prioritairement de s’assurer de la présence concrète du monde par des recherches sur la matière, la pesanteur, etc.
Cherchant à s’advenir autre à partir du monde environnant, ces architectures brutalistes ou archaïques indéterminent leur forme et, par ce trouble, invitent à reconstituer la formation d’une architecture. On l’a évoqué, cette ouverture est rendue possible par la recherche des déterminants externes à la situation. Par leur quête des origines, elles appellent à un recommencement, une refondation.
Celles présentées dans la matrice montrent particulièrement l’armature intérieure ; ce qui soutient. Ces formes-forces donnent à sentir tantôt l’effort d’un soulèvement comme certains projets de Jacques Herzog et Pierre de Meuron ; tantôt la légèreté de structures montrant des efforts de suspension chez Santiago Calatrava ou certains projets d’E.M.B.T.
À l’inverse de l’archaïsme, le déconstructivisme est principalement antimatériel. Son lieu de ressourcement est celui d’une altérité interne à la discipline. En effet, la recherche de l’essence de la discipline se localise préférentiellement sur ces déterminations formelles. Les formes semblent ici envisagées comme un système langagier latent qu’il s’agit de reconstituer et d’ouvrir à de nouvelles expérimentations. Pour autant, la spontanéité n’est pas évacuée par ce qui semble à première vue ressembler à la création d’un métalangage.
Portée par la fuite en avant d’une temporalité progressive86 dans laquelle toute référence extérieure et antérieure tend à être exclue ou dépassée, la forme se détermine à partir de ce qui émerge de l’acte même de former. La situation environnante semble ici secondarisée puisqu’il s’agit précisément de la changer ; ces architectures ont à se faire être à partir d’elles-mêmes. Sans pour autant tomber dans l’informe, leur vertige et leur ouverture consistent dans la désintégration apparente de leur forme que leur rythme sauve de l’abîme. Le travail de Peter Eisenman ne relève pas seulement de décompositions formelles dont la série de maisons expérimentales (Houses I à X) reste emblématique, il donne à sentir un espace tremblé qui déstabilise notre appréhension de l’espace (cf. Greater Colombus Convention Center).
Par l’indéfinition de leur forme, ces architectures déconstructivistes appellent à refaire la forme d’une architecture à partir de la recherche de ces déterminants propres. Les itérations du faire défont l’état stable et totalisant de toute forme finie.
À partir de l’esthétique maldinéenne et de notre exploration de l’expressionnisme supérieur, nous avons tenté de dégager un éprouvé critique qui, amorçant la conception, mêle disparition de la forme et recherche de détermination en altérité. Ce ressenti suspend et déstabilise notre rapport au monde.
L’épreuve enseigne. En montrant les conditions périlleuses du concevoir permettant l’accès au régime existentiel, l’expressionnisme supérieur semble insister sur la dimension de traversée et de transmission de cet accès : son enseignement. Il donne à voir les conditions de possibilité et l’appel d’une œuvre et d’un rapport moi-monde en cours et à venir. Il invite à la métamorphose, à s’advenir autre en traversant le péril d’une crise qu’il ne masque pas et dont les formes architecturales de ce style rendent compte : leur contour et leur corporéité semblent simultanément en instance de désintégration et, à l’inverse, être en voie de former un tout individuel autonome. Il nous semble que nombre d’architectures remarquables de la période 1985-2015 que nous avons tenté de cartographier dans une matrice relèvent de ce style artistique qui est aussi une manière d’être au monde.
Enfin, la violence du refus de la forme-image qui l’habite est intégrée dès lors qu’il ne s’agit pas de son exclusion destructrice : la forme-image reste maintenue comme présence indéfinie. Il s’agit ici de tenir l’être… dans une certaine direction d’altération que ce style indique : « Exister en tant que soi c’est être sa propre possibilité, sans que jamais elle cristallise en état de fait, c’est se tenir en possibilité ouverte dans sa propre mise en œuvre. […] Tenir l’être, non la pose : acte constitutif de la présence. Ne pas tenir la pose signifie, pour la présence, ne pas s’ajuster à ce qu’elle serait devenue une fois pour toutes »87.
Architecte diplômé en 2007 (École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux), Docteur en Philosophie depuis janvier 2020 (Université Jean Moulin Lyon III), Thomas Richard exerce à Bordeaux en qualité d’architecte libéral. Il publie de projets architecturaux dans des revues spécialisées, et intervient lors de colloques (Université PSL), des journées d’études (Centre d’Arts Plastiques Contemporains) et de tables rondes (Centre d’Arts Plastiques Contemporains et au Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine de Bordeaux). Il consacre sa recherche à la dimension existentielle de la création architecturale.
GUIBERT, Daniel, La conception des objets Son monde de fictions, Paris, L’Harmattan, 2002
LUCAN, Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2015
MALDINEY, Henri, Art et existence, Paris, Klincksieck, retirage 2e édition, 2003 (1re éd.1985)
MALDINEY, Henri, Regards Parole Espace, Paris, Éditions du Cerf, 2012
MALDINEY, Henri, L’art, l’éclair de l’être, Paris, Les Éditions du Cerf, 2012 (1re éd.1993)
MALDINEY, Henri, Aux déserts que l’histoire accable, L’art de Tal-Coat, Paris, Éditions du Cerf, 2013
MALDINEY, Henri, Ouvrir le rien, l’art nu, Paris, Encre marine, 2010
MALDINEY, Henri, Espace, rythme, forme, Paris, Les Éditions du Cerf, 2022
MALDINEY, Henri, Penser l’homme et la folie, Grenoble, Éditions Jérôme Millon, 3e édition, 2007 (1re éd. 1991)
MALDINEY, Henri, Le vouloir dire de Francis Ponge, La Versanne, Encre marine, 1993
MALDINEY, Henri, Henri Maldiney : penser plus avant…,Chatou, Éditions de la Transparence, 2012
1 LUCAN, Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2015
2 Cf. MALDINEY, Henri, Art et existence, Paris, Klincksieck, retirage 2e édition, 2003 (1re éd.1985), p.61. Ci-après AE. La première est dite conscience finie égosystolique, la seconde est nommée conscience infinie égodiastolique.
3 Il s’agit de l’espace du paysage qui est une notion empruntée au neurologue Erwin Strauss. Il s’oppose à l’espace secondaire de la relation perceptive et objective dans laquelle le monde, soumis à nos manipulations, est envisagé comme un objet nous faisant face. À l’opposé, dans l’espace du paysage (ou de la présence cf. infra), nous sommes plongés et en situation. Cf. MALDINEY, Henri, Regard, Parole, Espace, Paris, Éditions du Cerf, 2012, p.56. Ci-après RPE.
En outre, à la suite de Friedrich Hölderlin, Maldiney nomme l’Ouvert le locatif absolu d’où surgissent l’espace (du paysage) et le temps.
4 RPE, p.333.
5 Le décentrement de ce sentir originaire conjoint indissociablement une ouverture sensible et un retour réflexif : il est un ressentir.
6 « Ce qui d’abord s’impose c’est l’absolu de l’événement, saisi dans son pouvoir absolu d’éveil d’un monde. […] Le réel est toujours ce que l’on n’attendait pas et qui, sitôt paru, est depuis toujours là, irrévocablement ». MALDINEY, Henri, Aux déserts que l’histoire accable, L’art de Tal-Coat, Paris, Éditions du Cerf, 2013, p.179. Ci-après ADHA.
L’apparaître est ce surgissement de l’évènement et de son altérité radicale. Voir MALDINEY, Henri, Espace, rythme, forme, Paris, Les Éditions du Cerf, 2022, pp. 64-65. Ci-après ERF.
7 MALDINEY, Henri, Penser l’homme et la folie, Grenoble, Éditions Jérôme Millon, 3e édition, 2007 (1re éd. 1991), p.255. Ci-après PHF. Voir aussi l’article éclairant : HOUSSET Emmanuel, Le moi inimaginable, in MEITINGER Serge et al., Henri Maldiney une phénoménologie à l’impossible, Puteaux, Le cercle herméneutique, 2002, pp. 47-65.
8 Le mot présence est l’équivalent français du Dasein heidegerrien qui signifie littéralement être-le-là et que Maldiney reprend à son compte : « Être présent c’est être à l’avant de soi, se tenir à l’avant de soi, donc s’anticiper ». Cf. PHF p.145. Cependant, cette sortie est une sortie à soi, c’est-à-dire à l’intérieur d’un soi déchiré et pour autant entier. Exister relève donc d’une tenue extatique dans une situation d’immanence, ce en quoi l’existence n’est pas extériorité, mais transcendance. Cf. AE, p.7.
9 RPE, p.160.
10 MALDINEY, Henri, L’art, l’éclair de l’être, Paris, Les Éditions du Cerf, 2012 (1re éd.1993), p.292. Ci-après AEE
11 RPE, p.242. Il comporte les deux moments d’expansion et de contraction ; la prédominance de l’un ou l’autre spécifie les styles qui seront abordés en suivant.
12 AEE, p.232. Voir aussi p.128 et p.242.
13 RPE, p. 385-386
14 ADHA, p.82. On peut ajouter qu’il s’agit d’une communication avec le monde et non avec l’autre : « Chacun ne s’explique avec les autres qu’à la condition de s’expliquer d’abord avec le monde à travers lequel il s’explique avec l’autre en lui ». in RPE, p.394
15 RPE, p.227
16 RPE, p.228
17 Cf. AE, p.107
18 RPE, p.228
19 MALDINEY, Henri, Ouvrir le rien, l’art nu, Paris, Encre marine, 2010, p.291. Ci-après ORAN
20 Cf. RPE, p.324
21 Cf. ORAN, p.285
22 Cf. MALDINEY, Henri, Le paroxysmal dans l’art (1994), Les Cahiers du CEP, Ixelles, 1996, p.116. Ci-après PA.
23 Plus précisément, elle s’origine de l’une des quatre pulsions (de contact, sexuelle, paroxystique, du moi) identifiées par Léopold Szondi auquel se réfère le philosophe. Pour une présentation succincte de la psychopathologie szondienne voir AE, p.59 à 64. Dans la climatique héroïque (paroxystique), ce qui nous arrive est rencontré sous le prisme de la violence ou du don d’une puissance adverse qu’il s’agit de combattre ou sacraliser. C’est le propre du drame héroïque que de se déterminer en contradiction. Nous verrons plus avant que, dans le cadre de la poïétique, cette puissance adverse constitue la forme comme limite finie. Ajoutons que la limite peut être repoussée dès lors qu’elle scinde notre rapport symbiotique au monde ou souhaitable si elle est habitée comme un espace-temps de sublimation dans lequel l’emprise du moi endigue et/ou intègre le pulsionnel.
24 L’ouvert, Revue de l’association internationale Henri Maldiney, n °16, 2023, p.150. Ci-après O16.
25 On peut parler aussi de manque d’accroche, de lieu où se suspendre.
26 ERF, p.26.
27 ADHA, p.31
28 PA, p.112
29 PA, p.110
30 ERF, p. 26-27
31 Cette formulation reprend le titre du chapitre « Trois clairières de l’Ouvert » du dernier ouvrage de Maldiney.
32 ADHA, p.77. Voir aussi p.85.
33 ADHA, p.54.
34 ADHA, p.101, voir aussi p.25
35 ADHA, p.105
36 ORAN, p.368
37 ORAN, p.375
38 ADHA, p.105
39 Ibid.
40 Cf. RPE, p.165
41 Cf. ORAN, p.33. Maldiney précise également ce qu’il entend par l’unité d’un existant (et, par extension, d’une œuvre) : « La subjectivité y est appelée pour fonder non seulement l’unité d’un acte biologique, psychologique, ou moral isolé, mais aussi le lien et la genèse de la série entière des actes d’un vivant ou d’un existant, de moment critique en moment critique, à travers leurs discontinuités » in MALDINEY, Henri, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, Paris, Les Éditions du Cerf, 2012 (1re éd.1975), p.315
42 PHF, p.306
43 MALDINEY, Henri, et coll., Maldiney une singulière présence, Paris, Éditions Les Belles Lettres, 2014, p.238
44 PHF, p.90 Maldiney reprend ici Viktor von Weizsäcker.
45 À la suite de Maldiney pour qui le motif est « ce qui meut » (cf. AE, p.90), avec cette formulation, nous insistons sur le lien essentiel entre l’affection et le mouvement inhérent qu’elle implique.
46 Cf. PHF, p.302
47 La volonté de forme (Formwille) ou volonté d’art (Kunstwollen) est une notion forgée par Aloïs Riegl. Cette pulsion créatrice s’articule nécessairement à la vision du monde (Weltanschauung) actuelle d’une communauté. Cf. A. Riegl, L’industrie d’art romain tardive, traduit par Marielène Weber, Sophie Yersin Legrand, Éditions Macula, Paris, 2014, p.365. Précisons que pour Maldiney cette volonté n’est pas forcément consciente, elle relève davantage d’un appel à être.
48 MALDINEY, Henri, Henri Maldiney : penser plus avant…,Chatou, Éditions de la Transparence, 2012, p.19
49 PHF, p.302
50 Ibid.
51 « Pour celui qui fait œuvre, il y va de son être dans cette œuvre, à l’avancée de laquelle seulement il ex-iste ». Cf. ERF, p.20
52 Pour Maldiney, la pulsion paroxysmale (les affects) court-circuite ou détourne de la présence : « Le pathos (poussé au paroxysme) surprend la présence et court-circuite l’acte de toute explication avec scission au niveau du moi. La présence est un être-là qui n’existe plus son là, mais qui est prise dans un vertige universel. La présence se fait absence ». Cf. PHF, p.132
53 En outre, il nous semble qu’une articulation interne pourrait constituer une alternative au caractère indifférenciant du rythme sans pour autant relever d’une dualité signifiant une séparation avec le monde.
54 MALDINEY, Henri, Le vouloir dire de Francis Ponge, La Versanne, Encre marine, 1993, p.108. Ci-après VDFP.
55 VDFP, pp. 108-109
56 PHF, p.302
57 PHF, p.110
58 Pour Maldiney, l’acte de négation consiste à diviser l’espace en instaurant des limites. Cf. RPE, p.163. Aussi, dès lors qu’il s’agit ici d’un refus des limites, on peut parler de dé-négation.
59 RPE p.292
60 Cf. AE, p47
61 ADHA, p.126
62 En effet, il s’agirait de « Nier les limites et, avec elles, l’autonomie interne de la forme ». Cf. AE, p.116
63 PHF, p.294
64 Cf. PHF, pp.292 et 285
65 PHF, p.294
66 O16, p.33
67 O16, p.20
68 Ibid.
69 O16, p.21
70 O16, p.19
71 Employé par Ponge, ce terme figure en liminaire du premier ouvrage que Maldiney lui a consacré. Elle est issue de la formule d’Eschyle « pathei mathos » (l’épreuve enseigne) que le philosophe utilise tout au long de son œuvre.
72 Le terme de matrice m’a été suggéré par Jean-Jacques Wunenburger. Concernant le signifiant « antéformes », je l’emprunte au titre du livre de Medhi Belhaj Kacem. Étymologiquement le préfixe latin anté- marque l’antériorité temporelle et spatiale, il signifie auparavant ou encore devant. En français, une ante est un terme architectural qui renvoie à un pilier ou pilastre quadrangulaire. Antée est aussi un personnage de la mythologie grecque vaincu par Hercule. Le géant avait pour particularité de se régénérer au contact de la terre et c’est notamment en l’y arrachant qu’Hercule parvint à le vaincre. Sur le plan philosophique, il fait écho à la notion d’antéprédicatif, c’est-à-dire à une pensée antérieure à la pensée conceptuelle. Relativement à sa dimension phonétique, le terme convoque également le hantement et les fantômes qui lui sont corollaires. Le pulsionnel est une autre manière d’envisager cette figure du hantement. Il constitue le fond que nos existences tentent de dépasser en le formant.
73 Cf. AEE, p.86. Voir aussi PHF, p.300.
74 RPE, p .162. Ainsi, l’art classique tend à définir la forme aux limites de son enveloppe ; la forme ne semble pas habiter l’espace du monde.
75 VDFP, p.108
76 AEE, p.107
77 AEE, p.108
78 Cf. RPE, p.239
79 Cf. RPE, p.112.
80 « Ce moment du contact est celui à la fois d’un enveloppement et d’une traversée ». PHF, p.163
81 Cf. AEE, p .233
82 A contrario du déconstructivisme et de l’archaïque, le neutre et le médial sont des appellations que nous proposons.
83 Dans les formes ou images, la relation soi-monde est prédonnée. En s’y conformant, le sujet évite l’existence qui consiste à se faire être à partir de rien qui ne puisse être anticipable.
84 Cf. AE, p .112
85 « le propre du possible est d’être sa propre ouverture, c’est-à-dire de se maintenir en possibilité, sans céder à la réalisation de soi sous la forme d’un état stationnaire, idéal ou effectif, où l’être-là devient thème ». VDFP, p.139
86 Bien qu’entretenant une proximité avec le néo-futurisme, celui-ci ne porte pas en lui de vertige.
87 Cf. PHF, p.223
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