À l’aube d’une nouvelle édition de la revue Esquisses, quelques mots de Bernard Salignon pour ouvrir la thématique Nuit avant de découvrir les textes et les créations.
Si le jour nous met dans la finitude concrète du monde et des objets que nous voyons, si le jour donne aux choses leur être ici et là, proche ou lointain, la nuit nous plonge dans l’infini où tout disparaît. Alors nos regards tournés vers le dehors ne voient rien. Rien de revient en représentation ; tout maintenant est la conséquence d’un effacement sans trace. La nuit s’abouche au présent sans limite, c’est là sa transparence paradoxale. Elle ne cache rien d’autre qu’elle-même, elle est toute entière dans le montrer de ce qu’elle voile.
Depuis Héraclite l’Obscur, la nuit et le jour ne s’opposent plus parce que la nuit s’oppose à la ténèbre laquelle sort du jour et de la nuit et n’a de sens qu’après qu’on ait retourné notre regard du ciel et du monde comme pour signifier et dire que l’insupportable question que nous posons depuis les Grecs a traversé et la nuit et le jour, mais que la ténèbre garde sans réponse. La ténèbre prend à rebours notre solitude elle la perd dans la multitude innombrable, elle provient de ce qui visible efface l’invisible.
Alors comment côtoyer au plus proche le mystère dans l’obscur sinon par cette nuit gardienne du sommeil et de la raison où les choses sont dans l’attente du jour pour réapparaitre à nouveau. La ténèbre serait donc cet absolu qui borde toute naissance et qui déborde toute mort ; on pourrait dire de la ténèbre : nous sommes venus et allons. Comme l’écrit Wang Fanzhi en -600 :
« Avant que le ciel ne m’ait donné vie,
j’étais dans la ténèbre sans conscience ;
le ciel soudain m’a donné naissance ;
il me l’a donné pour quoi faire ?Sans habit je ressens le froid ; sans nourriture, j’éprouve la faim,
rendez-moi mon moi au ciel et aux ténèbres,
rendez-moi le moi d’avant de naître ! »
C’est dans la diversité des approches et des perspectives que nous, le comité de rédaction d’Esquisses – en mouvement, sommes heureux de vous présenter un ensemble d’articles autour de la thématique de la Nuit. Lier la sensibilité plastique, poétique et théorique en des lieux aussi complémentaires qu’opposés, voilà notre propos qui s’est ainsi articulé en une exposition à la galerie Phén(o) à Montpellier et en une publication en ligne que voici.
Sans tarder, nous vous invitons à découvrir les textes choisis qui pour seuil se trouvent introduits par Un éclair dans la nuit de Bernard Salignon. Dans Les vergers nocturnes, Bronwyn Louw nous invite dans une visite littéraire, nocturne et végétale. Luis Meyer articule un travail narratif et plastique autour de l’enjeu de conter la nuit. Puis, Hélène Kuchmann déplie l’œuvre de Liz Deschenes afin d’ouvrir le lien entre l’écriture de lumière – la photographie – qui opère secrètement la nuit. Valentine Oncins pratique la photographie, comme autant d’instants fugaces exposés au flash de l’appareil, ou à la persistance de la lumière dans l’objectif. Marc Courtieu nous offre, lui, une analyse sur les temps limites, les instants de passage entre le jour et la nuit. Maëva Gardenat donne à voir un récit hypnotique où, dans l’espace d’une seule lettre, résonne le temps épuisé d’une nuit sans sommeil. Quant à Caio Vinicius Russo Nogueira, son texte nous plonge avec malice dans une pensée fulgurante traversant la nuit avec un œuf et quelques lucioles. L’œuvre de Cristina Rap et Trihn Lo trouve ici une trace écrite, silencieuse, de la lumière si désirée, toutefois si blessée, en nous plongeant dans une nuit intérieure. Et finalement Pauline Desiderio nous invite dans une indicible nuit comme fond de la conscience.
Septembre 2023
Pour télécharger la revue :
Lien vers les différents articles :
Les vergers nocturnes de Bronwyn Louw
La photographie à l’épreuve de la nuit – Fps 60 de Liz Deschenes de Hélène Kuchmann
Aux frontières de la nuit de Marc Courtieu
Écrire, la nuit de Caio Vinícius Russo Nogueira
Nuit de la conscience, D’après Deep me de Marc-Antoine Mathieu de Pauline Desiderio
Obscure lumière de Cristina Rap et Trihn Lo
Nuit-esquive de Valentine Oncins
La nuit – un scénario pour la lumière de Luis Meyer
Une longue nuit de Maëva Gardenat